Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/331

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ne marchent point fendus comme des compas et poussant de tragiques exclamations ; les sentiments qui les meuvent et les torturent en sont-ils moins véhéments ? On ne voit pas leur sang couler, les blessures n’en sont pas moins profondes, et les coups bien portés à fond. Descendez, la lampe de l’analyse à la main, dans cet étrange et maladif cœur de fille de onze ans et demi, qui s’agite, secouée par les crises spasmodiques de la chlorose à sa dernière période, et demandez-vous si ce drame n’est point poignant et terrible, qui, commencé au bord du petit lit de fer de la malade, trouve son dénouement au fond de cette bière d’un mètre et demi, où l’on couche pour toujours la petite morte ? L’art moderniste, que Zola désignait sous le terme aujourd’hui démodé de Naturalisme, par la simplicité et la puissance de ses moyens, parvient ainsi à montrer, dans leur puissante réalité, les drames de tous les jours, ceux qui se nouent et s’accomplissent sous nos yeux, et que souvent nous ne voyons pas, ou plutôt que nous ne voulons pas voir, habitués que nous sommes au fracas, à la mise en scène, aux oripeaux, aux grandes phrases et aux sentiments à panaches et à perruques. C’est par ce rayonnement universel de l’art moderne que l’épopée et la tragédie, jadis domaine exclusif des crimes et des passions des rois, sont devenus la conquête de la réalité. C’est par cette transfiguration puissante de la vie contemporaine que les souffrances et la mort d’une enfant de onze ans ont l’ampleur tragique du sacrifice d’une Iphigénie, victime, elle aussi, des crimes et des vices héréditaires. Deux êtres qui s’aiment, une petite fille qui souffre de cet amour et qui en meurt, il n’en faut pas plus au romancier pour laisser une œuvre belle et durable. N’a-t-il pas suffi, d’après Musset, pour