Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/450

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précipitamment Paris. Je pris le train de Calais avec un très léger bagage, composé d’une chemise de nuit, d’une flanelle, et d’un chiffon de papier sur lequel Clemenceau avait tracé quatre mots d’anglais. Et dans le train qui m’emportait loin des rumeurs de mort et aussi, hélas ! loin de mon foyer, je répétais ces mots, m’efforçant de les retenir pour pouvoir guider mes premiers pas dans la ville de Londres. Je débarquai en Angleterre le 19 juillet, au matin. Je ne m’arrêtai pas dans l’énorme ville bourdonnante, recherchant la solitude et le silence. Mon bagage, je le répète, était celui de l’exilé, qui n’emporte que quelques hardes au bout de son bâton. J’écrivis bientôt à ma femme pour lui demander de me faire parvenir les documents qui se rapportaient à mon livre, et qui attendaient dans un coin de mon cabinet de travail, à Médan. Les indications précises de ma lettre lui permirent de les découvrir, et, par un chemin détourné, ils m’arrivèrent enfin au lieu de ma retraite. Il me sera permis de dire ici que mon exil ne fut pas volontaire. J’avais accepté ma condamnation, et je m’étais préparé à subir mon année de captivité. La perspective de la prison n’effraye à la longue que les coupables. Je n’avais pas à craindre le remords d’une action qui m’avait été imposée par ma conscience, et dont la rançon était la perte de mon repos, de ma liberté, et de ma popularité fondée sur un labeur obstiné. Je pouvais me dire : l’honneur est sauf, et peupler ma cellule de douces visions. Mais j’obéis aux raisons de tactique invoquées par les hommes de mon parti, en qui j’avais placé toute ma confiance, et puisque l’intérêt d’une cause, à qui j’avais fait déjà tant de sacrifices, commandait mon départ, j’obéis en soldat. Le 4 août, j’écrivis la première ligne du premier chapitre, et le 15 octobre, sept chapitres étaient composés. À cette date, je transportai mes pénates à Upper-Norwood. Mon visage m’avait trahi dans es auberges que j’habitais. Or, mon désir ardent était de me soustraire à toute importunité. Malgré l’urbanité anglaise, je me sentais comme enveloppé de curiosités, sympathiques mais gênantes, et je choisis, au milieu de prés verts et sous de grands ombrages, une demeure inviolable. Je pris des domestiques anglais qui ne me connaissaient