Pour avoir une idée de l’œuvre poétique, à peu près ignorée, de l’auteur
de l’Aérienne, il est bon d’analyser son état cérébral, de faire pour
ainsi dire l’inventaire de son intellect de la vingtième année. D’après
ses lectures, et en relevant ses impressions et ses aspirations, par
lui-même confessées, on peut établir le bilan de sa mentalité et de son
avoir de penseur et d’écrivain, vers 1860.
Nous savons déjà le milieu dans lequel a évolué l’enfant, puis
l’adolescent, nous connaissons la force acquise héréditairement, le
mélange des sangs, l’atavisme dalmate et beauceron, la Provence, les
premiers jeux, les camaraderies puériles devenues de juvéniles amitiés,
restreintes et exclusives, l’éducation classique incomplète, la pauvreté
réfrénant les passions matérielles comme les élans artistiques du jeune
homme, la répugnance à se soumettre à une besogne mécanique, le goût à peu
près absolu de la littérature, et, plus spécialement, de la poésie.
Par quoi et comment cette intelligence, aux développements lents et aux
belles manifestations tardives, fut-elle alimentée de seize à vingt ans ?
À cette époque de la croissance, la nourriture de la cervelle humaine a un
rôle très important, comme la santé et la vigueur physique du jeune homme
dépendent, en grande partie, du régime alimentaire, durant ces années où
le corps se forme et grandit. L’alimentation intellectuelle n’a pas moins
d’influence sur la formation du cerveau, sur la croissance des facultés,
sur la vigueur de l’esprit, et aussi sur cette matière obscure et
complexe : la conscience. L’enfant né aux champs, dans les taudis des
cités manufacturières, poussant sur le terreau grossier, parmi les
végétaux humains que nulle culture n’a perfectionnés et adoucis, puise
la substance nourrissant sa pensée,
Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/79
Apparence
Cette page n’a pas encore été corrigée