Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/81

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philosophe du Moi, et le premier en date de nos psychologues. Le « connais-toi toi-même ! » semblait donc à Zola la base de l’étude de l’homme. Il avait, certes, raison, mais, par la suite, dans ses ouvrages, il parut fort peu procéder de Montaigne. Il fut constamment descriptif, objectif, altruiste. Aucun de ses livres ne peut être considéré comme une autobiographie déguisée. Il ne s’est mis en scène nulle part, pas même dans l’œuvre, où il a fait figurer son ami, le peintre Cézanne. Ce n’est que bien vaguement qu’il a dessiné le ministre Eugène Rougon, d’après quelques traits se rapportant à lui-même : la ténacité, le goût du labeur opiniâtre, et une passion abstraite et désintéressée pour le pouvoir, pour la domination morale et intellectuelle. Ce qu’il apprit du moraliste demeuré le plus actuel, le plus moderne des penseurs du passé, c’est la minutieuse observation, le soin du détail et de la particularité, la vision distincte de chaque fait ou objet examinés. Montaigne est le maître de philosophie des gens qui ne se piquent point de philosopher. Il a, sur tous les sujets, et à propos de tous les événements, soit de la vie privée, soit des bouleversements généraux des sociétés, une appréciation saine et un jugement mesuré, à la façon d’Horace et de Sénèque. Si l’on retrouve difficilement l’influence du sceptique analyste dans les descriptions et dans les tableaux synthétiques de Zola, elle se décèle dans la méthode, dans l’élaboration de chaque œuvre, dans les faits recueillis, classés, rapprochés, dans la poursuite à outrance de la documentation et du renseignement, et aussi apparaît-elle nette, dans sa conduite de la vie, dans ses sentiments et sa façon d’être. Plusieurs des manières de voir le monde, de juger la société, d’apprécier l’éducation, qui appartinrent à Zola, lui viennent de Montaigne. Zola