Une voix s’éleva dans les groupes. On n’a pas conserve le nom de ce citoyen, soudainement inspiré, mais qui doit être considéré comme l’organisateur inconscient de l’insurrection, alors prochaine, qui s’écria tout à coup : « Et nos canons ! les Prussiens vont les prendre ! » Et aussitôt des gardes nationaux de répondre : « Ils ne les auront pas ! Il faut les enlever ! » Alors une bande vociférante d’hommes, d’enfants, de femmes, bien vite grossie en route, comme les compagnons du Cid, aux cris cent fois répétés de : Aux canons ! À Wagram ! Au Ranelagh ! se mit en route vers les parcs d’artillerie.
On avait oublié ces batteries, confiées à la garde de quelques compagnies. Ces canons, tout neufs, avaient été fondus pendant le siège, avec le produit de souscriptions, de collectes, et aussi avec les recettes de quelques représentations, notamment celles où les meilleurs artistes avaient récité des vers des « Châtiments ». Victor Hugo avait abandonné ses droits d’auteur, et l’une des pièces, qui avait reçu le nom du poème vengeur « Châtiment », avait été entièrement payée par ce don. Le peuple considérait ces canons comme sa propriété, et la garde nationale devait les conserver. Si ces canons restaient dans la zone livrée à l’occupation, les Prussiens s’en empareraient. Il fallait les soustraire à leur réquisition. Pas une minute n’était à perdre.
Ce fut au milieu d’un enthousiasme fébrile, et avec un entrain extraordinaire, que ces citoyens s’attelèrent aux canons, les transportèrent à travers Paris, du Ranelagh et de la place Wagram à la place des Vosges, où déjà se trouvait installé un parc d’artillerie, et aussi à Montmartre et aux Buttes-Chaumont. Là, les pièces seraient en sûreté ; à l’occasion on les retrouverait. Ce fut, durant toute la journée, une animation et un mouvement de troupes intenses dans la ville. Des bataillons, escortés par une foule frémis-