Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/297

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gérée une honteuse et barbare démonstration. Cette foule de clubmen, d’oisifs, de gens du monde, de boursiers, de vaudevillistes, de courtiers véreux, de journalistes officieux et d’intrigants d’antichambre, auxquels se mêlaient dans une promiscuité de carnaval, grandes dames impertinentes, bourgeoises prétentieuses, prudes revêches, hautes cocottes souriantes, et filles tapageuses, s’évertua à propager la liesse brutale. Chacun racolait les gens de connaissance pour se féliciter en commun et aller faire la conduite aux communards pris.

Tout ce public dépaysé, à qui les distractions manquaient, se porta en masse sur l’avenue de Paris, au devant du convoi des vaincus. L’exaspération du siège, quand de rares prisonniers avaient passé dans nos rues, n’avait pas été jusqu’à l’insulte. Envers ces ennemis détestés, que les chances de la guerre avaient désarmés et livrés, la populace avait conservé des égards : c’étaient, il est vrai, des Allemands ; des êtres devenus odieux. On les haïssait toujours, mais ceux-là étaient pris, donc devenus inoffensifs. Ces prussiens-là, si redoutés, n’étaient plus à craindre, on les épargnait, et quelques-uns même les plaignaient. On considérait toujours ces mauvais voisins comme appartenant à l’humanité, et ayant des droits, sinon à la pitié, du moins au respect dû aux prisonniers entre civilisés, conformément aux usages de la guerre. On eût hué, bousculé, cogné même le drôle qui se fût permis de les outrager au passage. L’énergumène qui eût osé porté la main sur l’un de ces captifs eût été assommé sur place. Mais pour des parisiens, pour des Communards, les sentiments de cette haie élégante furent autres. On ne considéra plus ces prisonniers, parmi lesquels se traînaient aussi des femmes, des enfants, comme des êtres humains. Ils cheminaient péniblement, sous le sabre et la menace des gendarmes, les vêtements en