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Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/303

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vateur rarement impartial, mais souvent exact dans ses notes pittoresques, prises au jour le jour, confirme cette mentalité parisienne, nullement accablée par le découragement ni frissonnante dans l’inquiétude, au lendemain des journées d’avril :

Ce qu’il y a de véritablement stupéfiant au milieu de tout cela, dit-il, C’est l’aspect souriant des rues, des boulevards, des promenades ; l’émigration toujours croissante ne se fait remarquer que par un moins grand nombre de filles et de gandins : il en reste assez pour remplir les cafés et réjouir les boulevards. On dirait que Paris est dans son état normal. Chaque matin, des Champs-Élysées, des Ternes, de Vaugirard, se répandent çà et là dans la ville des familles qui se dérobent au bombardement, comme à l’époque où M. Jules Favre anathématisait la barbarie des prussiens ; les unes sont en voiture, d’autres marchent à pied, précédant tristement une carriole chargée de matelas et d’objets de ménage ; toutes, quand on les interroge, vous racontent les obus versaillais effondrant les maisons, tuant des femmes et des enfants. N’importe ! on va comme de coutume à ses affaires ou à ses plaisirs…

Rien n’a l’air d’être interrompu, ni d’être changé. La proclamation même du redoutable Cluseret, qui nous menace tous du service actif dans les compagnies de marche, n’a pas réussi à troubler la quiétude indifférente du plus grand nombre des parisiens. Ils assistent à ce qui se passe, comme à un spectacle auquel on ne prend intérêt que juste assez pour se divertir. Le soir, la canonnade redouble, et, en prêtant l’oreille avec quelque persistance, on peut distinctement entendre les feux de peloton. Paris prend son bock au café de Madrid ou au café Riche. Quelque-fois, vers minuit, lorsque le ciel est clair, il va aux Champs-Élysees, pour voir les choses de plus près. Il se promène sous les arbres, il fume un cigare, il dit : « Ah ! voilà les mitrailleuses ! » Il compare le bruit de la bataille d’aujourd’hui an bruit de la bataille d’hier. En se promenant ainsi non loin des obus, Paris s’expose volontairement à de graves dangers, mais s’il est indifférent, Paris n’est pas lâche. Puis il va se coucher. Il lit les journaux du soir. Il se demande, en bâillant : « Comment diable cela va-t-il finir ? Par la conciliation ? Par les prussiens peut-être ? »