Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/337

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pect d’une proie. Il va, comme le condamné que le licteur antique avait touché du faisceau : il est sacré. N’osant porter la main sur l’ouvrier de sang, dont elle a peur, la foule en ce jour de printemps rouge a saccagé avec une irritation satisfaite l’outil dont il s’était servi. Elle a assouvi sa haine de caste contre l’appareil des lois, contre l’autorité, contre la justice bourgeoise, s’en prenant à l’instrument inerte et inconscient. Elle ne connaissait certainement pas, même par oui dire, les théories de Joseph de Maistre, mais ce jour-là, place Voltaire, cette foule les condamnait sans les connaître. La guillotine, à présent à terre et en morceaux inutilisables, était à ses yeux le symbole de la justice féodale, abusive et impitoyable, de la domination qui avait, durant tant de siècles, pesé si cruellement sur le menu peuple. Elle détruisait, elle anéantissait ce qui représentait pour elle l’odieux et déjà lointain passé. Un sentiment analogue à celui qui faisait danser la population sur les décombres de cette Bastille, où jamais un homme du peuple n’avait été détenu, animait ces habitants du quartier de la Roquette, honnêtes travailleurs, vaillants défenseurs de la cité, qui n’avaient cependant rien à redouter du bourreau ni de sa machine. Comme leurs aïeux sautillant sur les ruines de la prison des nobles et des écrivains, ces faubouriens émancipés ne pouvaient s’empêcher de trépigner de joie autour des débris fumants de ce qui avait été la guillotine. Ô cerveaux enfantins !

L’auto-da-fé de l’échafaud ne fut d’ailleurs qu’un incident de quartier, une distraction populaire locale sans répercussion au dehors. Le souvenir s’en effaça vite, et à la place même où la guillotine avait été livrée aux flammes, avec enthousiasme, quelques semaines après, sur la clameur d’une mégère affolée, une foule, peut-être la même, devant cette mairie du XIe, se ruait sur un officier d’état-