Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
PAUL VERLAINE

Nord. Il avait pris peur. On lui avait parlé de dénonciation, peut-être d’arrestation. Il décampa au plus vite.

Je me trouvai séparé de Verlaine par les circonstances, durant une partie de cette triste année 1871. Je ne savais où il était, et il ne pouvait m’écrire. Il passa l’été, tantôt chez M. Julien Dehée, à Fampoux, tantôt chez M. Dujardin, à Lécluse. Il écrivit de là à notre ami commun Émile Blémont, qui venait de se marier, et il lui donnait, sur cette vie rurale du Nord, qu’il aimait tant, des détails et des impressions analogues à celles contenues dans les lettres, datées des mêmes localités, qu’on a lues plus haut. Il trace, entre autres descriptions synthétiques et pittoresques, comme il savait les faire, ce croquis de la fabrique de sucre de son cousin :


Notre fenêtre donne sur une grande cour, au milieu de laquelle s’élève une colonne Vendôme, moins prétentieuse que la défunte, et qui, plus utile [on reconnaît là le Parisien ayant vécu deux mois au milieu de la fièvre communaliste], se contente de l’humble nom de cheminée. Puis viennent des toits de brique percés de mille tuyaux plus bizarres les uns que les autres, puis des cuves, puis des cuves encore et toujours des cuves. Et si vous aimez la mélasse, on en a mis partout, et encore ailleurs. Cet ensemble, industriel à l’excès, est heureusement compensé par le voisinage d’un petit bois charmant qui fourmille de fraises, de noisettes et de points de vue : de plus, mon cousin possède un jardin very confortable, où les poiriers en chandelles, les pêchers en espaliers et les vignes en arceau encadrent très pompeusement d’admirables roses et d’énormes lys.

Fumer là deux pipes, après le dîner (midi), boire sept à huit chopes au cabaret (4 h. à 5 h.), et voir tomber la nuit dans le bois, en lisant quelque livre bien calmant, telle est ma nouvelle vie, qui diffère de celle de là-bas. Nous comptons retourner sous peu dans Fampoux.


Ces intéressantes lettres à Émile Blémont ont paru dans la Revue du Nord du Ier février 1896.