Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/191

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— Allume, dit-il au poète, très bas, d’une voix rauque, à gauche de la gonde, y a d’l’arnacle…

Et il ajouta, encore plus sourdement :

— Je suis rien fauché, vieux, r’file-moi un patard.

Verlaine demeurait perplexe, un peu inquiet. Heureusement j’avais compris. « Regarde, avait dit, en son langage imagé, le jeune voyou à l’auteur des Fêtes galantes, qu’il prenait décidément pour un confrère de marque, à gauche de la porte, il y a de la police secrète. » Et pour prix de son avis, qui était peut-être une rouerie pour nous « estamper », car le jeune drôle pouvait nous avoir dévisagés et reconnus pour des « pantes », sous nos déguisements de « mariolles », il avait ajouté : « Je suis sans argent, donne-moi deux sous. »

Je « r’filai » à notre avertisseur les dix centimes sollicités, et j’entraînai vivement Verlaine, par un couloir à peine éclairé, vers la sortie. Sur le boulevard extérieur, après avoir allumé nos pipes, nous nous donnâmes le plaisir de cheminer au milieu de nombreuses filles apostées le long des arbres. Quelques-unes, en passant, croyant sans doute nous reconnaître, et nous prenant pour des « aminches en ballade », nous faisaient des signes d’intelligence, auxquels nous répondions amicalement, d’un geste suffisamment protecteur. Parvenus à proximité du café du Delta, abrités par la baraque d’une marchande de journaux, nous dépouillâmes nos blouses, et nous fîmes une apparition modeste, avec nos casquettes nous donnant l’aspect, non plus de « terreurs » en expédition, mais de paisibles consommateurs venus en voisins. Verlaine d’ailleurs était connu en cet établissement, et sa présence, pas plus que sa coiffure, ne pouvaient attirer l’attention.

La suite de cette équipée, renouvelée des pérégrina-