Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/270

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Nous avions alors coutume d’assister à une sorte de repas corporatif, entre camarades du Parnasse, du salon Ricard, de chez Nina et de la boutique de Lemerre. On se réunissait, à des jours fixes, pour dîner et causer littérature. Plusieurs convives, qui n’étaient ni de notre « promotion » ni de notre milieu, y venaient de temps en temps, quelques-uns déjà presque célèbres. On y récitait des vers, et l’on y faisait des lectures. Richepin y donna la primeur de sa Chanson des Gueux, et de sa pièce l’Étoile.

C’était un dîner mensuel. Il avait pour titre : les Vilains Bonshommes. À la suite d’un article de Victor Cochinat, où les Parnassiens avaient été ainsi qualifiés, cette désignation, qui voulait être injurieuse, fut relevée avec défi. Tel jadis les Gueux des Flandres. Ce dîner avait lieu en divers cabarets de la rive gauche, souvent chez un marchand de vins, au coin de la rue de Seine. Les menus étaient illustrés. L’un d’eux que j’ai conservé représente une femme nue, une Vénus Callipyge, vue postérieurement, tenant un plateau sur lequel se lit : Sonnets. Au bas du dessin, cette mention : Invitation au dîner des Vilains Bonshommes. Le dessin était toujours d’un artiste de valeur : Regamey, Forain, Bracquemond ont gravé plusieurs de ces eaux-fortes dînatoires.

À l’un de ces dîners, où naturellement Verlaine avait amené Rimbaud, une altercation se produisit, au cours de la lecture des poèmes qui terminait le repas. Rimbaud s’étant permis de ricaner et de causer à haute voix pendant la déclamation d’un morceau qui sans doute ne correspondait pas à son esthétique, l’excellent Étienne Carjat, qui assistait au dîner, et qui témoignait d’une grande admiration pour le poète lisant ses vers, Jean Aicard, imposa silence au jeune perturbateur, et