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Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/285

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Nord, en Belgique, et jusqu’en Angleterre, en compagnie d’Arthur Rimbaud.

Son départ, qui ressemblait à une fuite, eut un singulier prologue. Les deux compagnons firent comme une répétition de leur expédition projetée, et un matin de juillet 1872, ils se mirent en chemin de fer à destination d’Arras. Ils arrivèrent de bonne heure, et, en attendant que les personnes que Verlaine connaissait dans la ville pussent les recevoir, ils s’installèrent au buffet de la gare, où ils s’offrirent des apéritifs, l’un poussant l’autre, si bien que l’ivresse bavarde s’empara d’eux. Alors ils entamèrent des conversations extraordinaires.

Rimbaud, qui affectait une morgue précoce et un silence hautain, imagina d’épouvanter les voyageurs du buffet. Verlaine, avec bonhomie, lui fournit la réplique. Ils parlèrent d’assassinats, de vols, de vieilles femmes étranglées, et aussi de prison, de verroux, d’évasion ; ils donnèrent des détails qui parurent précis, des aperçus semblant exacts sur les maisons pénitentiaires, et cela à voix assez haute pour permettre à leurs voisins inquiets, et bientôt terrifiés, de supposer qu’ils avaient à leurs côtés, consommant dans ce paisible buffet, deux échappés de maison centrale, peut-être deux criminels venant d’accomplir un mauvais coup.

Ils jouèrent si bien leurs personnages, ils effrayèrent si complètement les honnêtes consommateurs que tout à coup deux gendarmes, prévenus soit par un voyageur, soit par le garçon du buffet, survinrent, et invitèrent les deux compères à les suivre.

Ils sortirent au milieu des clignements d’yeux, des chuchotements, des mines effarées, et la légende courait bientôt, sur le quai, et de là se répandait en ville, qu’on venait d’arrêter deux célèbres assassins. Peu s’en fallut