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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

Verlaine, le Villon moderne ! Voilà une de ces formules consacrées qui dispensent d’un jugement rendu en connaissance de cause. Comme toutes ces médailles du discours, qui circulent dans la foule et acquièrent bon aloi à force d’être passées de main en main et usées, on accepte, sans vérifier, sans peser, celle-ci qui semble frappée au coin de l’observation et de la vérité. C’est pourtant de la bien fausse monnaie. Assurément, au point de vue purement littéraire, la comparaison n’a rien de désobligeant. On peut même la trouver flatteuse.

François Villon, le poète humain et neuf, qui, le premier, fit entendre une note mélancolique, au milieu des gaillardises, des ironiques et fades allégories des trouvères amphigouriques et des poètes secs et raisonneurs du XVe siècle, est en tête de notre magnifique dynastie de rois de l’esprit. Il est le Pharamond, l’ancêtre, le père de toutes nos races poétiques. Être mis à son rang, c’est se voir placé au sommet de la noblesse de lettres. Mais il se mêle à cette assimilation louangeuse une fâcheuse comparaison biographique. C’est surtout en truanderie qu’on fait Villon et Verlaine parents. C’est le genre de vie, et non pas seulement le talent poétique, qu’on rapproche et qu’on confond.

Cette confusion ne peut résister à l’examen. Elle doit cesser, bien que les vertus privées n’aient rien à voir avec les talents poétiques. Quel phénomène inconcevable, un grand scélérat qui serait un grand artiste ! Néron, exemple unique, trop favorablement cité, ne fut qu’un histrion, et Lacenaire, assassin de premier ordre, n’eut que le talent d’un faiseur de bouts-rimés. On ne devrait cependant point se préoccuper des méfaits d’un artiste supérieur, s’ils existaient. Les délits, voire les crimes, commis par un poète ou un peintre de génie, condam-