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Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/33

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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

et talent peuvent s’en passer. Que Verlaine ait été digne du prix Monthyon, ou qu’il ait mérité la hart que Villon vit se balancer à quelques pouces de son col, cela ne changerait pas un vers de Sagesse et ne modifierait aucune strophe des Fêtes galantes.

Mais on n’est pas forcé d’être un coquin pour être classé parmi les plus grands artistes de son temps. L’honnêteté ne fait pas l’artiste, elle ne le détruit pas non plus. Un écrivain de la célébrité de Paul Verlaine ne doit être jugé que comme auteur de poésies, de livres, de pièces, mais il ne faut pas cependant lui attribuer des méfaits et des antécédents dont il est indemne. C’est ce qu’on fait, avec légèreté et ignorance, quand on le compare à Villon. Car l’auteur du Grand et du Petit Testament a laissé une réputation peu enviable, qui accompagne sa superbe renommée littéraire. On sait qu’il était compagnon de hardis tire-laines. Il pratiquait l’escroquerie des lippées franches et des repues gratis chez les hôteliers confiants. Le vol à main armée ne l’effrayait pas. De nos jours, il eût été classé parmi les cambrioleurs et les apaches. Pris sur le fait, une attaque sur la grand’route, il fut jugé et condamné à être pendu, avec ses compagnons. Ceci nous valut la belle épitaphe « la pluye nous a bués et lavés… ».

Verlaine a eu de ces cris de mélancolie et de remords, notamment quand il s’interroge tristement et se demande « ce qu’il a fait de sa jeunesse », mais il n’avait pas de vol de grand chemin à se reprocher. Il n’a même jamais commis la plus légère indélicatesse. Il était probe de naissance, d’instinct, de milieu et de volonté. Les exemples familiaux, les leçons du premier âge, les scrupuleuses minuties comptables de sa mère, le souvenir de son père, capitaine intègre, le protégèrent