Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/348

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de l’auteur par la narration de Mme Verlaine mère, qui avait, comme nous l’avons dit, assisté à toute la scène.

Elle se trouvait, en tiers, dans la petite pièce de l’hôtel Liègeois, à Bruxelles, où les deux jeunes gens se querellaient, à l’occasion du départ annoncé par Rimbaud.

Celui-ci affirmait n’être revenu qu’avec l’intention bien arrêtée de repartir aussitôt. De l’argent, et il tournait les talons ! Tous deux avaient la tête montée par les apéritifs. Verlaine, plus faible, ou plus surexcité par l’alcool, s’exaspéra. En vain, Mme Verlaine mère suppliait les deux amis de se mettre à table, et de renvoyer au lendemain, lorsqu’ils seraient pourvus de plus de sang-froid, leur explication, Rimbaud ne voulut rien entendre. Il déclara, de son petit ton sec, qu’il partirait sur-le-champ, et, avec le geste autoritaire qui lui était habituel, il ajouta qu’il lui fallait de l’argent. Il répétait, en scandant nerveusement, sur un rythme analogue à celui des lampions, sa demande impérative « de l’ar-gent !… de l’ar-gent !… ».

Verlaine avait acheté un revolver, peut-être dans une vague appétence de suicide, tourmenté par le souvenir de sa femme, le cœur torturé par la séparation que le refus du voyage à Bruxelles affirmait définitive. Depuis quelque temps, il sentait voltiger autour de ses tempes des chimères funèbres. Il était hanté, la nuit, de démons noirs dégagés des vapeurs de l’alcool. Dans un impulsif élan de violence, il tira l’arme de sa poche, et fit feu dans la direction de Rimbaud.

Le mouvement avait été suffisamment lent pour permettre à ce dernier d’avancer la main, instinctivement, comme pour s’emparer du revolver. La première balle effleura le poignet gauche de Rimbaud, la seconde, tirée