Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/350

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de la tentative d’assassinat. L’arrestation fut maintenue, l’arme confisquée, la plainte de Rimbaud recueillie, consignée, et l’on écroua le malheureux poète à l’Amigo [le violon belge], tandis que Rimbaud prenait insoucieusement le train de Charleville, rêvant de vagabondages nouveaux et de lointaines aventures.

Verlaine fut transféré à la prison des Petits Carmes, à Bruxelles, sous l’inculpation de tentative d’assassinat. L’affaire devenait sérieuse. Il a raconté par la suite, avec beaucoup de bonne humeur, son entrevue avec le directeur, petit homme, au visage disparaissant sous les moustaches et les favoris, bedonnant, grisonnant, avec des yeux perçants, sous son binocle.

Ce fonctionnaire tenait une lettre à la main en abordant le prisonnier. Il lui dit poliment : « Veuillez vous asseoir, M. Verlaine ! » C’était la première parole courtoise qu’on lui adressait depuis son arrestation. Tout émoulu de son séjour à l’Amigo et des bourrades traditionnelles des agents, car le passage à tabac est aussi une contrefaçon belge, le poète ne savait à quel motif attribuer la bienveillance inattendue du geôlier. Il en eut ainsi l’explication :

— « Je viens de lire, monsieur, comme c’est mon devoir, dit avec solennité le directeur, une lettre qui vous est adressée, et je m’étonne, ayant de tels correspondants de vous voir ici ; du reste, prenez connaissance ! »

Il tendit la lettre au prisonnier. C’était la réponse à une supplique désespérée et hâtive qu’il avait envoyée à Victor Hugo, le priant d’intervenir pour lui, de faire une démarche à Paris pour une recommandation de l’ambassade. Il avait sans doute aussi parlé de sa femme. Tourmenté par les souvenirs de tout ce qu’il avait laissé de cher en France, évoquant, dans sa dé-