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Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/447

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ouvrage d’observation de mœurs, de psychologie. Il avait cependant, pour ce dernier genre, très bien lu et compris Obermann, Adolphe, Jacques et divers romans de Mme Sand. Ces descriptions sentimentales eussent été plus aisément dans ses moyens, mais il ne put jamais se mettre à l’œuvre. La composition poétique lui avait, on ne peut pas dire gâté, mais faussé la main pour ce travail, comme la prose courante alourdit et détraque les doigts qui pincèrent les cordes de la lyre. Il fit de la psychologie en vers, inspirée de Joseph Delorme et de Mme Desbordes-Valmore ; en prose, il ne s’évada jamais de la subjective préoccupation et demeura prisonnier de l’autobiographie. Un auteur ne peut être perpétuellement à confesse.

Quant au théâtre, il en avait eu le goût et la tentation. Nous avons vu que, dans ses premières années, il s’était amusé à tâter de l’opérette-farce [les Beautrouillards, jamais terminés]. Il avait commencé avec moi un grand drame, à la fois populaire et d’une visée supérieure aux mélos traditionnels, les Forgerons. Nous devions peindre, dans ces cinq actes en prose, destinés à la Porte-Saint-Martin ou à l’Odéon, la jalousie chez l’ouvrier, sentiment très vivace, très violent dans ses manifestations parmi les âmes frustes et les êtres asservis aux besognes rudes. L’Othello doré et empanaché de Shakespeare est un jaloux, orgueilleux et impulsif ; notre Othello en bourgeron devait être surtout le mâle possesseur, jaloux de sa proie, grognant et mordant quand on vient lui disputer sa part, en même temps qu’un jaloux du passé, devenant furieux, impitoyable et criminel par crainte de paraître faible, allant droit au meurtre, par terreur des moqueries d’atelier, désireux de changer la couleur jaune risible, dont on bariole la livrée