Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/449

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ment les coins de pays qu’il aimait, voir les Confessions. Mais toujours et partout sa personnalité dominait, et les événements de sa vie s’interposaient entre lui et le monde extérieur. Peu de pages où il n’y ait une allusion aux déchéances de son âme, à sa femme perdue pour lui, aux beaux parents instigateurs de la perdition. Il avait la hantise de ses malheurs familiaux.

Il avait résolu cependant de réaliser, par la prose, sa prose poétique, imagée, pleines d’ellipses, de parenthèses, d’intercalations, l’idéal du jeune homme de Théodore de Banville, dont nous avions souvent évoqué joyeusement la destinée invraisemblable : « Le poète lyrique qui vivait de son état. » Je l’encourageai dans ce dessein, et je le fis entrer au Réveil, grand quotidien littéraire où je faisais fonction de rédacteur en chef.

Les bureaux du Réveil étaient installés, avec ceux du Mot d’ordre, même direction et plusieurs rédacteurs communs, à l’entresol et au premier étage d’un immeuble rue Bergère, no 19, au coin de le Cité Rougemont. Les machines étaient placées dans les caves. On y accédait par la boutique donnant sur la rue. Il y avait, dans la même maison, une brasserie, genre allemand, tenue par un nommé Braunstein, où m’attendait très régulièrement Verlaine. Nous y faisions d’assez tardives haltes, car je n’étais guère libre qu’à 7 heures, mon article politique quotidien donné au Mot d’ordre et les principaux articles du Réveil remis à la composition.

Plusieurs rédacteurs de nos journaux l’aperçurent et s’inquiétèrent de l’apparition étrange. Qui pouvait bien être ce « type » inconnu, chauve mais hirsutement barbu, au masque ravagé, ayant l’aspect d’un juif-errant du Boul’ mich’, drapé avec des airs d’hidalgo montmartrois dans un épais mac-farlane, et dont le sourire railleur