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PAUL VERLAINE

prendre une tasse de thé, que précédait un peu de musique. J’étais l’un des instrumentistes. Autant que possible j’évitais la corvée musicale, pianiste peu enthousiaste que j’étais, attendant avec impatience le commencement de l’habituelle partie de whist ou de bouillotte, l’ancêtre du poker, qui faisaient les joies de ces soirées bourgeoises. Un autre jour, « les Lepelletier » montaient rue Saint-Louis, aux Batignolles ; là, réédition, le piano en moins, de la patriarcale soirée. De temps en temps, on dînait les uns chez les autres.

Nous profitions généralement, Paul et moi, au cours de ces visites et de ces familières réceptions, de l’animation de la conversation ou de l’attrait de la partie, pour nous enfermer dans nos chambres, afin d’y causer librement de choses littéraires, et de nous montrer nos essais, en fumant force pipes, car déjà nous avions franchi les aspirations débutantes de la cigarette.

Nous revenions toujours l’un de chez l’autre, chargés de bouquins. La petite bibliothèque de Verlaine était, sinon mieux fournie, du moins autrement approvisionnée que la mienne, plutôt classique et historique. Il avait un certain nombre de livres nouveaux qui furent pour moi comme une initiation. D’un autre côté, les volumes que Verlaine trouva chez moi eurent certainement une influence sur sa culture. Je lui prêtai Victor Hugo, que je possédais complet, c’est-à-dire jusqu’aux Misérables, dans l’édition Hachette, Jean-Jacques Rousseau, mon auteur alors favori, et le livre qui était à cette époque le catéchisme des incrédules, Force et Matière, du docteur Büchner. Nous avions des volumes dépareillés de Balzac, édition Cadot, que nous rassortissions de notre mieux sur les quais. Il me communiqua successivement les Fleurs du Mal, édition Poulet-Malassis, que je m’em-