Page:Leprohon - Antoinette de Mirecourt ou Mariage secret et chagrins cachés, 1881.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne vint à la pensée d’aucune des deux cousines que le colonel Evelyn, incapable de maîtriser l’inquiétude que l’apparence altérée d’Antoinette avait éveillée la veille dans son cœur, — et malgré son amour outragé, malgré la scène ineffaçable qu’il avait surprise entre elle et Sternfield — avait prié le docteur Manby, un des rares amis avec lesquels il était en termes d’intimité, de faire une visite d’apparente civilité à madame d’Aulnay et de savoir par lui à quoi s’en tenir sur le compte de sa jeune cousine.

Il ne faut pas inférer de là que le colonel Evelyn eut changé dans ses sentiments d’éloignement vis-à-vis d’Antoinette ou dans la condamnation sévère qu’il avait faite de sa conduite. Au contraire, l’offense était de celles que cette nature sensible et délicate ne pouvait jamais oublier ; mais, en même temps, il lui restait pour elle un sentiment de puissant intérêt, un sentiment que peut-être il ne pourrait jamais vaincre entièrement, et un regret intense qu’un homme pour lequel elle avait fait tant de sacrifices fut aussi indigne d’elle. Personne ne connaissait mieux que le brave colonel la carrière orageuse du major Sternfield, et lorsqu’il envisageait l’avenir misérable réservé à la jeune fille quand elle serait unie pour la vie à un homme qui violait constamment toutes les lois morales, c’était plutôt avec le chagrin plein d’anxiété d’un père qu’avec la colère d’un prétendant rejeté.