Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
LE MANOIR DE VILLERAI

berçait lentement, son tricot, infaillible ressource des vieilles dames, était tombé sur ses genoux ; et d’un regard attentif et pensif elle considérait la figure d’une jeune fille qui se tenait immobile comme une statue dans l’embrasure d’une des profondes fenêtres.

La jeune fille en question était Blanche de Villerai, orpheline, seigneuresse du fief de Villerai, accordé par le gouvernement français à un de ses ancêtres comme récompense de ses faits d’armes. La fortune qui lui avait généreusement accordé la richesse, l’avait aussi favorisée de bien d’autres de ses dons ; car un profil d’une stricte élégance, joint à la plus grande délicatesse de traits, disait assez que mademoiselle de Villerai, outre son titre d’héritière, en possédait un autre non moins envié, celui d’une beauté parfaite. Quelques-uns peut-être auraient trouvé ses traits trop calmes, trop froids malgré leur exquise perfection : d’autres auraient pu dire aussi que son grand œil noir lançait quelquefois des regards trop fiers ; mais les critiques même les plus difficiles n’auraient pu s’empêcher d’avouer qu’elle était extrêmement élégante. Soit que la solitude calme et belle du spectacle qui se déroulait au dehors, et qu’elle contemplait d’un œil avide, influât sur son humeur en ce moment, soit que ses pensées secrètes ne fussent pas aussi gaies qu’ont coutume de l’être celles d’une jeune fille, il y avait sur sa jeune physionomie une ombre de tristesse qui semblait augmenter sa beauté au lieu de la diminuer. Sa rêverie fut enfin interrompue par cette subite exclamation de sa compagnie :

— Blanche, ma chère, que fais-tu donc ? Voilà trois quarts d’heure que tu te tiens silencieuse et immobile à cette croisée, lui dit-elle en jetant les yeux, comme pour corroborer sa remarque, sur une longue et vieille horloge qui tintait solennellement dans un coin. Oh ! je devine bien à quoi tu penses.

Une rougeur subite monta aux tempes de la jeune fille, et tout en se tenant tournée vers la fenêtre, elle répondit :

— Il n’est pas difficile de le deviner, chère tante, je pense à Gustave de Montarville.

— C’est parler comme tu as toujours coutume de le faire, franchement et ouvertement. Oui, vraiment, quel autre