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LE MANOIR DE VILLERAI

doute ? Est-ce que tu n’as rien de mieux à faire que de t’amuser à courir de côté et d’autre, comme tu fais ? N’as-tu pas de pain à boulanger, pas de beurre à faire ?

— J’ai tout fini ce matin, répondit Rose avec douceur.

— Oui, sans doute, tu es très prompte quand tu veux ; mais il y a dans la maison d’autres choses à faire, auxquelles tu n’as pas touché, et qui resteront ainsi, si tu continues à faire comme tu as commencé. Des grappes de raisins, vraiement ! dit-elle avec dépit, en jetant un regard sur le panier et la partie du contenu qui était sur le couvercle ; des grappes ! tandis que moi et mes enfants, nous pouvons à peine trouver du pain sec à manger. Va dans le jardin, voir si tu ne pourrais pas arracher quelques légumes, avant que la gelée de la nuit leur fasse tort. Comme nous n’avons pas de raisins pour nous nourrir il faut voir aux autres moyens de subsistance qui nous sont laissés.

Un vif regard de sympathie s’échangea entre le père et la fille, comme cette dernière, obéissant au rude commandement de sa belle-mère, quittait la chambre ; et la lueur de bonheur que la présence de Rose avait répandue sur la physionomie de son père, disparut à son départ, pour laisser voir les terribles ravages de la maladie et les signes précurseurs de l’approche de ce visiteur qu’il ne craignait plus, la mort.

Plein d’espérance, Lauzon voyait venir sa fin avec calme. Sa vie avait été honnête et sans reproche ; et maintenant, supporté par sa foi, encouragé par les fréquentes visites du bon curé, bien peu de craintes ou de regrets assiégeaient son lit de douleur. La tyrannie de sa femme était plus que compensée, croyait-il, par l’infatigable amour de sa douce enfant ; et sa grande confiance dans les soins miséricordieux de la Providence, soulageait son âme des inquiétudes qui, autrement, l’auraient troublé touchant le sort futur de sa fille bien-aimée.

Le beau mois d’octobre tirait à sa fin ; puis vint le triste et ennuyeux novembre, qui commence si justement par le plus mélancolique des jours, le jour des morts. L’aurore s’était à peine montrée au milieu des nuages et de la pluie, et le cœur le plus gai s’était senti attristé à la vue de ce ciel gris, de ces champs et de ces jardins désolés, et de