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LE MANOIR DE VILLERAI

Je parierai un louis d’or contre un sol que n’importe quelle modeste jeune fille, forcée de passer près d’un groupe comme celui que nous formons, rougira jusqu’au blanc des yeux.

— Vraiment, de Cournoyer, vous êtes flatteur pour vos amis en général, reprit de Noraye, infiniment plus irrité qu’il ne voulait le paraître, par les doutes et l’incrédulité que manifestaient ses compagnons et le mépris évident qu’avait montré Rose.

— Eh bien ! donc, vous tous sceptiques, puisqu’il faut vous donner le jour et la date pour vous convaincre de la vérité de ce que je vous dis, je puis aussi bien avouer que j’ai d’abord rencontré cette petite Rose, vrai bouton de beauté, dont le nom est Rose Lauzon, au petit village de Villerai, il y a environ vingt mois. Je l’ai vue encore la semaine dernière, et je la reverrai de même la semaine prochaine, ou quand je le voudrai.

Un sifflet prolongé de l’un des auditeurs, un regard de désappointement chez de Cournoyer, qui avait été tout à fait charmé par la fraîcheur et la modestie de Rose, suivirent cette déclaration ouverte ; quand tout à coup une voix cria près des oreilles du vicomte :

— De Noraye, vous êtes un menteur et un lâche !

Furieux, le vicomte bondit plutôt qu’il ne se retourna vers le lieu d’où venait la voix, et là, pâle de colère, il vit Gustave de Montarville.

— Est-ce vous qui avez osé m’adresser ces paroles ? demanda de Noraye presque hors de lui-même.

— Oui, répondit clairement de Montarville ; et je le répète encore : Gaston de Noraye, vous êtes un menteur et un lâche !

Le vicomte, qui avait alors perdu tout empire sur lui-même, leva le poing pour frapper celui qui venait de parler ainsi, mais le capitaine de Cournoyer lui arrêta le bras à temps pour prévenir le coup.

— En France, Gaston, dit-il tranquillement, on répond à de telles paroles, non pas par des coups, mais par des balles ou le fleuret. Ce sont les seuls moyens dont un gentilhomme puisse se servir. Prenez patience, vous pouvez avoir des pistolets et obtenir satisfaction demain matin d’aussi bonne heure que vous voudrez.