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LE MANOIR DE VILLERAI

penser que ces affreux Anglais, avec leur langage barbare et leurs toilettes ridicules, vont maintenant régner sur nous ; heureusement que, pour la plupart, nous possédons la faculté d’abandonner cette terre conquise. Les vaillants officiers qui ont combattu pour elle avec si peu de succès, choisiront sans doute avant de partir des compagnes, non seulement pour le voyage de France, mais aussi pour le grand voyage de la vie. Vous, Mlle de Villerai, serez parmi le petit nombre des élues ; car, pardonnez cette liberté d’une ancienne amie, n’êtes-vous par sur le point d’épouser le capitaine de Montarville ?

— Puisque vous me faites la question aussi explicitement, je vous répondrai avec une égale franchise. Je ne suis pas sur le point de me marier avec celui que vous venez de nommer.

— Mais dans quelque temps ? persista l’autre.

— Non, ni maintenant, ni jamais.

Pauline était bonne dissimulatrice. Depuis longtemps elle avait appris non seulement à déguiser ses pensées et ses véritables sentiments, mais de plus à feindre ceux qu’elle ne ressentait pas ; mais cette fois elle ne réussit pas à cacher à temps la joie triomphante dont brilla son regard en entendant cette déclaration favorable. Mademoiselle de Villerai saisit ce regard, malgré la promptitude avec laquelle il fut réprimé ; mais elle ne fit aucune remarque, et se tournant vers madame de Rochon, elle lui dit :

— Je l’ai moi-même désiré, ma bonne amie, et une destinée infiniment plus heureuse attend Gustave, que s’il eût été le mari de Blanche de Villerai.

— Ah ! cette destinée, pensa Pauline, fière et heureuse, c’est moi qui vais la remplir, c’est moi qui vais la partager !

— Mais quand ma petite Rose va-t-elle revenir auprès de moi ? demanda madame de Rochon, pour écarter un sujet qu’elle croyait pénible au moins pour l’une de ses compagnes.

— C’est justement pour cela que nous sommes venues vous voir aujourd’hui, dit Blanche en souriant, et je crois bien que, si vous êtes la moitié aussi attachée à Rose que je le suis moi-même, la nouvelle que nous vous apportons ne sera pas bien reçue.