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LE MANOIR DE VILLERAI

exposée, presque sans vêtements, à l’haleine glacée d’un vent d’hiver froid et perçant. Cependant pas la moindre trace de passion ou de colère ne passa sur sa belle et jeune physionomie, pendant qu’elle se tenait là, le cœur agité, les mains étroitement jointes ensemble, et la poitrine fréquemment soulevée par son émotion concentrée ; mais il y avait sur sa figure une expression d’angoisse et de désespoir infiniment plus triste. Enfin ses lèvres pâles s’entr’ouvrirent, et, l’âme accablée et brisée, elle se dit involontairement :

— Oh ! est-ce que tout ne serait pas préférable à la vie que je mène ici ? Pourquoi, pourquoi ne deviendrais-je pas la femme d’André Lebrun ?

Et comme elle parlait encore, son regard tomba sur la gracieuse silhouette d’un cavalier qui passa à peu de distance du lieu où elle se trouvait.

Ce cavalier était Gustave de Montarville.

Reconnaissant Rose d’un premier coup d’œil, il ôta son chapeau et la salua avec une exquise politesse. La jeune fille le regarda longtemps aller jusqu’à ce qu’il fût hors de vue. Alors, en revenant lentement à la maison, elle secoua légèrement sa jolie tête, et murmura :

— Oh ! non, jamais, advienne qui pourra, jamais je ne pourrais, ni je ne voudrais épouser André Lebrun !


V


Les jours s’écoulaient rapidement et gaiement au manoir ; mais enfin le moment arriva où ses hôtes durent penser à partir. Le lieutenant de Montarville vit avec des sentiments de regret et de satisfaction tout à la fois approcher le temps de rejoindre son régiment ; heureux de reprendre cette vie agitée et chevaleresque, si conforme à son caractère bouillant, et de plus excité par l’espérance d’acquérir la gloire militaire en vengeant une cause aussi sacrée que celle de sa patrie. Il se présentait des moments où il accusait les heures de s’écouler trop lentement. Quelquefois aussi il ne pouvait s’empêcher de penser, sans un profond regret, à la vie tranquille qu’il avait menée, et à la société de l’ai-