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LE MANOIR DE VILLERAI

émise par l’énorme poêle double, ne paraissaient le moins du monde incommoder les membres même les plus délicats de l’assemblée ; car c’est l’atmosphère à laquelle le Canadien est accoutumé dès le berceau.

Dans le petit cercle que nous venons de mentionner, on remarquait facilement un homme de haute taille et qui paraissait être d’une force herculéenne. Son épaisse barbe noire, extraordinairement crépue et mêlée, ses longs cheveux raides et lisses, son teint bruni par le soleil et s’approchant beaucoup de la couleur basanée des aborigènes ; enfin un certain air farouche et demi-sauvage empreint sur toute sa physionomie, le faisaient immédiatement reconnaître comme appartenant à cette classe d’hommes renommés, les voyageurs canadiens. De larges anneaux d’or ornaient ses oreilles ; il était chaussé de mocassins indiens, décorés de rassades de différentes couleurs avec une étrange profusion.

Cet invididu remarquable, dont le nom était Baptiste Dufault, surpassait tous ses semblables en trois points. Il était le plus infatigable fumeur, le plus impassible buveur et le meilleur conteur de la paroisse. Ses récits étaient aussi excentriques que grotesquement terribles, et les histoires merveilleuses qu’il avait entendu raconter par ses compagnons pendant ses voyages sur les rivières du Nord-Ouest, ou en fumant la pipe autour du feu des chantiers, étaient soigneusement logées dans sa mémoire, prêtes à paraître au jour à la première occasion.

Quand le cercle dont il était le membre le plus important, fut fatigué de discuter les chances de succès de la prochaine campagne, et, ce qui les touchait de plus près, la famine qui, après avoir accablé d’une manière impitoyable les habitants des villes et des grands centres, commençait à se faire sentir parmi eux, Baptiste Dufault fut pressé par plusieurs du groupe de faire diversion aux amusements de la veillée, en leur racontant une de ses histoires merveilleuses.

— Oui, oui, père Baptiste, s’écria l’un des jeunes gens. Et, je vous en prie, donnez-nous-en une aussi merveilleuse et aussi terrible que les deux dernières, l’une à propos du chasseur sauvage sans tête sur les bords de la rivière Rouge,