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LE MANOIR DE VILLERAI

blessant assez pour le faire saigner. Mais pour commencer mon récit, plusieurs d’entre vous, mes amis, avez été à Montréal, n’est-ce pas ?

Plusieurs signes de tête répondirent affirmativement.

— Eh bien, vous connaissez ce chemin sauvage et solitaire, qui conduit par la Côte-des-Neiges à St-Laurent[1]. Près de l’endroit où il commence au pied de la montagne, il y a une petite maison en ruines ; les ronces et la mousse y séjournent librement, rarement foulées par quelques touristes indiscrets qui peut-être, comme moi, ont entendu raconter cette histoire.

En 1706, cette maison n’était guère en meilleur état qu’elle n’est aujourd’hui : portes, fenêtres, contrevents, tout était fermé. Les voyageurs la croyaient abandonnée, et en effet, elle en avait bien l’air. Mais les voisins se rappelaient que cette maison avait eu autrefois des habitants à l’aise, à en juger par leur manière de vivre. Depuis quatre ans déjà, on n’y voyait plus de signe de vie que de temps à autre, pendant la nuit. Parfois une lumière incertaine, vacillante, paraissait à une fenêtre. Tout le monde s’éloignait de cette maison maudite ou enchantée. Le cavalier qui allait passer la veillée avec sa blonde, faisait un long détour, en chantant à tue-tête, et hâtait le pas quand il se trouvait vis-à-vis de cette maison. Quelques-uns, plus hardis que les autres, avaient osé s’approcher à quelques pas de la maison, mais c’était pour la première et la dernière

  1. Ce chemin, aujourd’hui considérablement embelli par une foule de jolies résidences qui le bordent jusqu’à une certaine distance hors de Montréal, était à l’époque de notre récit le repaire de brigands et de maraudeurs, dont les actes de violence faisaient le sujet de toutes les conversations. Au commencement du siècle dernier, le gouvernement français, voulant frapper d’une salutaire terreur ces gens redoutables, résolut de faire un exemple terrible d’un nommé Bélisle, qui avait été fait prisonnier, après s’être longtemps distingué par l’horrible cruauté de ses crimes. Il fut en conséquence condamné à être écartelé par quatre chevaux sauvages dont l’un serait attaché à chacun de ses membres. La terrible sentence fut fidèlement exécutée, et les restes mutilés du criminel furent enterrés sur le lieu de l’exécution. Une grande croix peinturée en rouge fut érigée précisément à cet endroit ; mais plus tard, elle fut transportée plus loin, parce qu’elle obstruait la route, et on la voit encore, triste monument d’un crime et d’un châtiment terribles.