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LE MANOIR DE VILLERAI

l’on déclara unanimement que de Montarville était singulièrement favorisé par la fortune.

En un instant, mademoiselle de Villerai devint la belle à la mode : et l’ardeur et le dévouement de ses nombreux admirateurs ne furent égalés que par la froide indifférence avec laquelle elle recevait tous leurs hommages.

Vers minuit, Gustave, fatigué ou ennuyé, se tenait dans l’embrasure d’une fenêtre, suivant nonchalamment des yeux Blanche qui exécutait les figures d’une danse, quand le colonel de Bougainville passa près de lui. Il s’arrêta un instant auprès du jeune lieutenant, et remarquant la direction de ses regards, il lui dit en souriant :

— Vous surveillez votre conquête, M. de Montarville ? Vous faites bien, car c’en est une très belle, que plus d’un jeune galant vous enlèverait volontiers, je crois, s’il le pouvait.

Gustave tressaillit et rougit. Ce cœur bizarre ne pensait pas alors à Blanche de Villerai, ni au brillant spectacle qu’il avait devant lui, mais à une jeune paysanne dans son humble demeure, et qu’il est inutile de nommer…

Le brave colonel sourit de la confusion du jeune homme, qu’il interpréta mal ; et saluant poliment, il continua sa promenade.

Après cette soirée, il en vint d’autres ; et partout où mademoiselle de Villerai se montra, elle fut courtisée et admirée. Mais, ni les hommages qu’elle reçut, ordinairement si agréable à ceux qui possèdent la jeunesse et la beauté, ni la gaieté ou la nouveauté de ces scènes, ne purent remplir ni satisfaire ce cœur plein d’innocence, de fierté et de noblesse. C’était toujours avec un sentiment d’ennui qu’elle se préparait à ces scènes de plaisir que les personnes de son âge recherchent ordinairement avec tant d’ardeur, et après les premières semaines, ce ne fut que pour complaire aux désirs de madame Dumont qu’elle continua d’y prendre part. Elle ressentit donc une véritable satisfaction quand l’approche de cette époque de pénitence, le carême, lui fit entrevoir la fin de la brillante dissipation de l’hiver et un prompt retour à sa chère campagne.

Elle était assise, une après-midi, seule dans le salon de la jolie maison qu’ils habitaient à l’extrémité est de la rue