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LE MANOIR DE VILLERAI

qui, en terminant sa vie, mettrait aussi fin à tous ses doutes et à tous ses combats intérieurs. De nombreuses occupations toutefois, la meilleure des panacées contre la peine du cœur et l’agitation de l’esprit, allaient bientôt s’offrir à lui. Car au commencement de l’été, le marquis de Vaudreuil reçut avis qu’un corps considérable de troupes anglaises, sous le commandement du général Abercromby, se rassemblait à Albany, dans le but de faire une attaque sur la place importante de Carillon, ou, comme on l’appelait aussi, Ticondéroga.

Aussitôt donc, un grand nombre de soldats, comprenant une partie du régiment de Gustave, furent réunis, et par un beau jour d’été, ils partirent. En avant de la flottille, il y avait les bateaux qui portaient les provisions, les munitions, les pièces de canon, tandis que les soldats français et les volontaires canadiens suivaient dans des canots d’écorce, que les sauvages leur avaient appris à diriger avec une dextérité égale à celle même des peaux rouges.

Quel voyage solitaire mais magnifique ils commençaient ! Avec quelle vive et incessante admiration de Montarville et plusieurs de ses compagnons contemplaient les beaux paysages et les lieux enchanteurs par lesquels ils passaient : cette grande et silencieuse rivière sur laquelle ils naviguaient ; les magnifiques contrées qui bordaient ses rives, avec leurs profondes forêts, riches de toutes les plus vives couleurs de leur feuillage d’été ; les hautes montagnes couvertes de pins toujours verts, dominant des plaines ornées de la verdure du commencement de juin. Mais il ne faut pas croire que le silence n’était jamais interrompu ; le doux chant du rossignol, les cris sauvages du geai bleu, le bruit monotone du brillant pique-bois, perçant le tronc de quelque puissant roi de la forêt, tous ces bruits, tous ces sons si bien en harmonie avec les scènes qu’ils voyaient passer sous leurs yeux, ajoutaient un charme toujours nouveau à leur long et pénible voyage. Les difficultés même de la route qui se présentaient quelquefois, comme des rapides bouillonnants, des passages dangereux qui obligeaient les troupes à débarquer et à marcher sur le rivage, étaient agréables à ces esprits jeunes et aventureux. Enfin le 12 juin, ils arrivèrent sans encombre au lieu de leur destination.