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Page:Lermitage-1896-Volume12.djvu/327

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tempête et, après de vains efforts pour s’abriter derrière les promontoires, se virent obligés de reprendre la mer.

Tout alla de mal en pis. Quelles traverses ! Toujours et toujours, la proue du bateau passait dans les lourdes vagues au lieu de passer dessus, et, sur la fin du jour, le bateau chavira.

Ils étaient là tous, sans espoir de secours, accrochés à la quille parmi la rage de la mer, accablant de malédictions ce Hans de malheur qui les avait tentés et les avait menés à leur perte. Que deviendraient à présent leurs femmes et leurs enfants ?

Ils allaient mourir maintenant que plus personne ne pourrait veiller à leur subsistance.

L’obscurité se faisait ; leurs mains devenaient roides ; les vagues les emportèrent un par un.

Et Hans entendait, voyait tout cela — le dernier cri qui sombre, le dernier effort de la main qui s’agrippe à l’épave de salut ; et jusqu’à l’ultime seconde ce furent des reproches pour les avoir menés au malheur, des lamentations sur leur horrible sort.

« Il s’agit de tenir ferme » — se dit Hans — car il faisait meilleur là où il se trouvait que dans la mer.

Et ses genoux serraient éperdument la quille du bateau et il tint bon jusqu’à ce qu’il ne sentît vraiment plus ni ses mains ni ses pieds.

Dans l’épaisse obscurité de la nuit orageuse il s’imagina entendre des hurlements qui partaient d’autres bateaux en détresse.

« Eux, aussi, ont femmes et enfants, — pensait-il ; — je me demande s’il est également, avec eux, un Hans qu’ils accablent de malédictions ! »

Et tandis qu’il restait là, flottant à la dérive, sentant arriver, peu à peu, l’aube, il lui sembla, tout à coup, que le bateau était entraîné par un fort courant dans la direction du rivage ; et c’était vrai : enfin Hans toucha terre. Mais qu’il regardât de n’importe quel côté, il ne voyait rien que la noirceur des vagues ou la blancheur de la neige.

Il observa attentivement autour de lui et, soudain, aperçut tout au loin la fumée d’une « gamme »[1] finnoise qui s’élevait sous une falaise et il se mit en mesure de grimper jusque-là.

Le Finnois qui habitait la hutte était si vieux qu’il pouvait à peine se mouvoir. Il était assis au milieu d’un tas de cendres chaudes et marmottait dans un grand sac : il ne dit pas un mot à Hans. De grands bourdons jaunes bourdonnaient tout autour sur la

  1. Une hutte particulière aux Finnois de la Norwège.