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Page:Lermitage-1896-Volume12.djvu/425

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Sur les emplacements où l’on pêchait, les gens étaient immobiles, rames hautes, bouche bée. Un bateau comme celui-là, jamais on n’en avait vu.

Mais si la première année ce fut une ottring, l’année d’après ce fut une grande et lourde « femböring »[1] pour la pêche d’hiver qui fit écarquiller les yeux de tout le monde.

Et chacun des bateaux construits par Hans était plus léger et plus vite que le précédent.

Mais le plus grand, le plus beau, était le dernier qui se trouvait en chantier sur le rivage.

C’était le septième.

Hans, faisant les cent pas, y songea fortement ; mais lorsqu’il vint pour le voir, au matin, il remarqua — chose singulière — qu’il avait grandi pendant la nuit et que, bien plus, il y avait en lui une sorte de monstrueuse beauté qui le rendit muet d’étonnement.

Enfin il fut achevé et l’on ne se lassait point d’en parler.

Maintenant il faut dire que le Bailli qui gouvernait tout Helgeland en ce temps-là était un homme injuste, qui imposait lourdement le peuple, exigeant double poids et double compte de poisson et de duvet d’eider et il se montrait aussi rapace en ce qui concernait les dîmes et redevances en grains. Partout où arrivaient ses agents ils tondaient et écorchaient. À peine, donc, eût-il entendu parler des nouveaux bateaux qu’il envoya voir ce qui en était, car lui-même employait de nombreux équipages aux pêcheries. Quand ses agents revinrent, ils lui racontèrent ce qu’ils avaient vu et le Bailli en fut tellement ravi qu’il se mit en route sur-le-champ pour Sjöholm et soudainement s’abattit sur Hans comme un faucon. « Tu n’as payé jusqu’ici ni dîme ni taxe, mon garçon ; tu payeras autant de demi-marcs d’argent que tu as construit de bateaux. »

Sa rage était à son comble ; Hans serait mis aux fers et transporté à la forteresse de Skraar ; on l’y emprisonnerait si étroitement qu’il ne verrait plus ni la lune ni le soleil.

Mais quand il eut fait tout le tour du femböring, ne se lassant pas de l’admirer ; quand il eut constaté combien il était joli et finement proportionné, il se décida à donner le pas à la miséricorde sur la justice et consentit à remettre l’amende à condition de prendre le bateau.

Là-dessus Hans se découvrit et déclara que s’il existait au monde un homme à qui il se sentait flatté de pouvoir offrir son bateau, c’était bien à monseigneur le Bailli.

  1. Embarcation à cinq rames de chaque côté, dont on se sert pour les pêches hivernales.