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L’ONCLE BARBE-BLEUE

ressait dans ce grand château. Les leçons de Mlle Favières étaient si courtes qu’elles semblaient à peine des leçons ; loin de peser aux fillettes, elles leur rendaient au contraire plus agréables les nombreuses heures de récréation.

Sur les cinq petites filles, il y en avait quatre qui se trouvaient parfaitement heureuses de leur nouvelle existence, et qui n’avaient pas grand mérite à se faire voir sous leur plus beau jour. Il est si facile d’être sage quand on est heureux.

Pourquoi Élisabeth et Charlotte auraient-elles « grogné », n’ayant point de frères taquins auprès d’elles, et pourquoi se seraient-elles querellées ? Elles avaient tout en si grande abondance que leurs petites jalousies n’avaient plus de raison d’être. L’ainée tenait moins à garder ses prérogatives puisque, du rang « d’aînée » elle venait de passer subitement à celui « d’égale », ses cousines ayant le même âge et les mêmes droits qu’elle. La gourmandise, qui était le péché mignon de Charlotte, était moins sensible dans cette riche demeure où il y avait tant de friandises à sa disposition. D’ailleurs, les deux sœurs se tenaient sur leurs gardes ; l’une veillait sur son caractère, l’autre sur ses actions. Pour ceux qui, ainsi que l’Oncle Isidore, les voyaient seulement une partie de la journée, elles paraissaient donc impeccables.

L’indolence de Marie-Antoinette passait inaperçue. Quoi de plus naturel que de rester de longues heures étendue sur la mousse, sous le dôme d’émeraude des sapins de la forêt ? chacun en faisait autant par ces chaleurs du mois d’août. Quant à ses colères, personne n’en avait vu d’échantillon depuis son arrivée. Elle avait une certaine dose d’amour-propre, et tenait à ne pas rester au-dessous de ses cousines dans l’espèce de concours qu’elle sentait institué entre elles. Satisfaite de la supériorité