Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/303

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c’est là tout ce que je puis faire pour vous. Quelque mauvaise que doive être l’opinion que vous aurez de moi, je la subirai. Vous voyez combien je suis vil auprès de vous ? Et si même vous m’avez aimé, vous devez en ce moment me haïr ?….

Elle se tourna vers moi, pâle comme un marbre ; ses yeux seuls brillaient d’un éclat admirable :

— Je vous déteste, dit-elle.

Je la remerciai, la saluai avec respect et sortis.

Une heure après, un courrier à trois chevaux m’emportait de Kislovodsk. À quelques verstes d’Exentuki, je reconnus près de la route le cadavre de mon brave cheval. La selle avait été enlevée, probablement par quelque Cosaque, et sur son dos, à la place de la selle, s’étaient installés deux corbeaux. Je me détournai en soupirant.

Et maintenant, dans cette forteresse où je m’ennuie, je songe souvent au passé et je me demande pourquoi je n’ai pas eu l’envie d’entrer dans ce sentier que la destinée m’ouvrait et où m’attendaient de douces joies et de calmes émotions ?… Non ! Je n’aurais pu me faire longtemps à ce sort ! Je suis comme un matelot qui est né et a grandi sur le pont d’un corsaire er-