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BALAOO

Aucun incident pendant le déjeuner. Au départ, les voyageurs reprirent leur place du matin. Maintenant ils étaient plus bavards et, dans les côtes, se parlaient déjà comme de vieux amis ; ils avaient même l’air de se faire des confidences, autour de la diligence qu’ils ne quittaient point, du reste, de vue.

Patrice, plus que jamais, regrettait cette imagination néfaste qu’il avait eue de prendre ce chemin pour fuir Saint-Martin. Cette route, depuis qu’il avait vu Zoé, lui apparaissait comme la plus dangereuse de toutes, surtout depuis qu’elle se faisait plus sombre. Ils avaient abordé depuis longtemps la haute et profonde futaie, et c’était maintenant que ces forêts méritaient vraiment leur nom lugubre des Bois Noirs. La lumière du jour n’arrivait plus que difficilement à percer les feuillages épais. Et, sous les grands arbres, quel silence ! Seule la mèche claquante de Michel éveillait de temps à autre les échos de ce désert.

Cependant, Michel n’était plus aussi taciturne que le matin. L’aubergiste de Mongeron l’avait fêté et lui avait rempli sa gourde de fine blanche. Par instants, Patrice l’entendait se parler à lui-même avec des airs de tête entendus. Il semblait avoir pris son parti de quelque chose qu’il était seul à connaître et répétait : « Va toujours !… Va toujours !… »

Il pouvait être six heures du soir quand on arriva à la côte du Loup, ainsi nommée de ce qu’elle est surplombée par un roc qui a, à peu près, avec quelque imagination, la forme d’un loup.

La diligence, une fois de plus, s’était vidée, et Michel, somnolent sur son siège, laissait traînasser les guides sur la croupe des chevaux, quand il fut secoué de son appe-