Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VI

hubert, siméon, élie


Pendant qu’à Saint-Martin, les autorités civiles et militaires commençaient à piocher le plan d’attaque de M. Mathieu Delafosse, les rayons obliques du soleil d’automne allumaient la cime des arbres autour de la clairière de Moabit. Sous les hautes fougères et au cœur de l’inextricable enchevêtrement d’arbrisseaux qui faisaient de ce coin de forêt un asile inviolable, les Trois Frères, étendus auprès de leurs fusils chargés, dormaient. Des débris de victuailles, des flacons renversés dans l’herbe ou sortant des besaces attestaient qu’à Moabit on ne manquait de rien. Ils étaient vautrés là comme des bêtes repues. Le plus fort était Hubert, tout en carré, taillé à coups de hache et qu’on eût dit fait du bois de la forêt. Un buisson fauve lui descendait de la bouche au ventre, et cette barbe magnifiquement inculte cachait à demi son torse velu. Il ronflait, et cependant il eût été imprudent de se dire que, sous la paupière légèrement relevée, la prunelle ne veillait point. Il devait en être, pour ces gars, des yeux comme des oreilles, et, éduqués par les bêtes mêmes qu’ils chassaient, leurs sens ne devaient jamais reposer au plein. On savait que tous trois voyaient, pendant la nuit, mieux qu’en plein jour et qu’ils traînaient dans leur sillon des instincts de chats-tigres. C’étaient