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BALAOO

que de la bouillie. Et lui-même, le vicomte, devenu arme inutile, avait été vite rejeté par la balançoire, au milieu des morts et des éclopés.

Au bruit de cette bataille, aux cris, aux gémissements des mourants et des blessés, des officiers étaient accourus et, sans savoir sur qui on tirait, avaient commandé d’ouvrir le feu, quitte à ce qu’on se fusillât les uns les autres, à bout portant. On s’était rué ensuite sur Moabit en poussant des cris de sauvages. Tous les hommes encore valides, furieux, enragés, se déchirant aux ronces, aux buissons impénétrables, bondissant dans les taillis, affolés à l’idée qu’on se battait contre une force mystérieuse, contre une arme nouvelle de la forêt inventée par les Trois Frères, s’étaient élancés avec des cris de barbares comme lorsqu’on monte à l’assaut. Ah ! cet assaut de Moabit ! Bois-sans-Soif l’avait encore dans l’oreille avec les clameurs des pousse-cailloux et le tonnerre des arbres, car les arbres, autour d’eux, grondaient, haletaient, rugissaient comme s’ils avaient été l’orage lui-même. On eût dit que les arbres se défendaient. Et de temps à autre, il arrivait du haut des arbres des coups terribles, décochés par les Trois Frères qu’on ne voyait jamais et sur lesquels on tirait toujours !… des coups à vous assommer… ; à côté de vous un camarade tombait sans qu’on pût se rendre compte de rien !… Il ne disait même pas ouf ! Des coups de matraque effrayants qui pleuvaient des arbres et qui vous fichaient le nez en terre, assommé.

Lui, Bois-sans-Soif, avait été éraflé par un coup pareil, simplement éraflé, heureusement, et il en avait eu l’oreille fendue et il avait été assis par terre comme un enfant, et il en avait vu trente-six chandelles !

Mais il y en avait d’autres qui ne remueraient pas une