Page:Leroux - Balaoo, 1912.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
BALAOO

Au coin du pont d’Austerlitz, Balaoo s’accouda au parapet et considéra l’eau frissonnante et les reflets zigzagants des becs de gaz.

Comme il venait de soupirer avec force, il se sentit touché à l’épaule. Il se retourna.

— Circulez !

C’était un sergent de ville, inquiet, et flairant un désespoir.

Tchsschwopp ! fit Balaoo.

— Hein ? qu’est-ce que vous dites ?

Balaoo haussa les épaules et s’éloigna dans la nuit.

— Un étranger, pensa le sergent de ville. Un prince russe, peut-être…

Tchsschwopp, en singe oriental, veut dire à peu près : « Il n’y a pas moyen d’être tranquille ». Comme il avait obliqué un peu sur la droite, il se trouva à côté du bureau d’omnibus. Il pressa le pas, longeant la grille, cherchant la solitude.

Il la trouva. Alors, il appuya son front contre la grille, la grille qui entourait le Jardin des Plantes, l’immense cage où les hommes avaient enfermé ses frères, les animaux. Il resta longtemps ainsi ; le froid des barreaux lui faisait du bien.

Tout las et grelottant de sa douleur, le front appuyé aux barreaux, le regard du pauvre Balaoo descendait, suivi de deux larmes lourdes et rondes comme des billes d’enfant… descendait tout le long de sa personne, jusqu’aux étoiles noires de ses souliers vernis. C’était là qu’était le mystère, le mystère de son malheur sans bornes qui faisait de lui pire qu’un paria parmi les hommes, quelque chose comme une bête apprivoisée, c’est-à-dire la dernière horreur du monde. Car le lion de Numidie est