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BALAOO

respirent. Et, posément, correctement, ils débouchent dans la lumière des trottoirs de la rue Monge.

Rien de particulier jusqu’à la rue des Écoles. Ils marchent gentiment, toujours, en se tenant par la main.

— Écoute, maintenant, je vais te lâcher la main, Gabriel, parce que nous arrivons dans un quartier chic et qu’on ne se tient plus par la main à notre âge. Mais fais bien attention. Ne me quitte pas. Fais tout ce que je fais ; et, surtout, ne fais pas le malin.

Lors des premières sorties, c’étaient là des recommandations superflues. Gabriel, tout tremblant et tout anxieux, se contentait d’imiter tous les gestes de Balaoo (ce qui, du reste, un soir, les avait fait remarquer et passer, aux yeux de certains, pour des rastas facétieux) ; mais maintenant, Gabriel commençait à prendre de l’aisance et Balaoo redoutait ses initiatives.

— Ne fais pas le malin, répéta-t-il… et gare aux chiens !

Car, encore une fois, Balaoo n’a peur que des chiens sur toute la terre. Peur n’est pas assez dire, il en a horreur. Quand il en voit un, il pâlit et se sauve. Il monte dans un tramway, se jette dans une voiture qui passe à vide et crie n’importe quoi au cocher : « Bandang ! »par exemple. Il perd son sang-froid. Aussitôt qu’un chien le voit, c’est pour regarder illico les pieds de Balaoo. On dirait qu’il sait, qu’il devine ce qu’il y a dans les souliers de Balaoo, et, alors que ce chien respecte les souliers de tous les autres passants, il n’a de cesse (si Balaoo n’est pas assez malin pour se retirer à temps) qu’il n’ait entrepris, de ses dents impatientes, le cuir des souliers de Balaoo.

— La crainte des chiens, explique Balaoo à Gabriel (dans un langage singe rapide et très complet, car il s’accompagne d’une pantomime du visage et des mains,