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Quand il eut psalmodié le verset qui rappelait le martyre d’Atahualpa et l’invasion par l’étranger de la terre des ancêtres, un grand cri fut poussé par toute l’assistance et le Roi sur son trône, au sommet de sa pyramide, leva la main qui tenait le sceptre et annonça à tous que l’épreuve envoyée à son peuple par les dieux allait prendre fin, qu’il avait été choisi par le Soleil pour chasser l’étranger, et qu’en gage de réconciliation avec son peuple, le Soleil avait permis qu’on lui offrît la plus belle et la plus noble des vierges, descendante directe de ceux qui avaient brûlé Atahualpa.

Aux paroles d’Oviedo Runtu, tous les yeux se tournèrent vers Marie-Thérèse et les clameurs de mort l’entourèrent de nouveau : « Muera ! Muera la Coya  ! À mort la Reine du Roi mort ! » Mais qui voulaient-ils tuer ? N’était-elle point déjà morte ! Raymond le crut fermement, car, même ces cris atroces ne la firent point tressaillir, ne lui firent point ouvrir les yeux. Si elle n’était point morte, elle devait être privée de tout sentiment et Raymond en remercia le ciel.

Le Roi avait repris son discours et chacun maintenant l’écoutait avec satisfaction affirmer que l’empire allait retrouver son antique splendeur, ses mœurs publiques et privées, ses rites, qui, depuis des siècles, se cachaient dans la solitude des montagnes ou dans le sein de la terre, et ses plus belles cérémonies. Les vieillards pourraient mourir heureux qui avaient vu cette fête de l’Interaymi, comme on n’en avait point connu depuis la mort de l’Inca martyr. Les pères et mères devaient regarder avec orgueil leur progéniture promise au plus glorieux destin et le cœur des vierges devait éclater d’espoir, car, pour elles, grandissaient en force et en courage et en beauté les libres enfants du Soleil.

Alors le Roi se leva et dit : « Qu’ils avancent, les enfants du Soleil ! »

Et les jeunes gens s’avancèrent.

Pendant trente jours, ils avaient subi, comme autrefois, l’épreuve nécessaire ; ils avaient jeûné, ils avaient combattu, ils avaient montré leur force et leur adresse à la course, au pugilat et dans le maniement des armes et ils avaient blessé et tué quelques-uns de leurs camarades, ils avaient dormi sur la dure, ils avaient porté des vêtements grossiers et ils avaient marché pieds nus. Maintenant, ils s’avançaient dans leur robe blanche, la poitrine barrée d’une croix, comme les jeunes hommes du moyen âge chrétien qui attendaient d’être faits chevaliers. Mais leurs pieds étaient encore nus.

Ils entourèrent la pyramide d’or et Huascar, auquel deux vierges présentaient un bassin d’or rempli de plantes vertes, présenta les jeunes gens au Roi. Il les nommait à mesure qu’ils défilaient devant lui et qu’ils tournaient autour de la pyramide et il déposait dans leurs cheveux des feuilles d’une plante toujours verte pour indiquer que les vertus qu’ils avaient acquises doivent durer à jamais[1]. Puis, un à un, les jeunes gens montèrent vers le Roi, et s’agenouillèrent, et le Roi, avec un poinçon d’or, leur faisait un large trou dans les oreilles[2]. Ils redescendaient, leur robe blanche pleine de sang et désormais sacrée, et Huascar, puisant dans un autre bassin d’or présenté par deux autres vierges, leur accrochait aux oreilles de grands disques d’or. Rien dans leur physionomie ne trahissait la souffrance.

Quand ils eurent tous l’anneau, ils se mirent en rang devant le Roi qui leur adressa encore une allocution. Il félicita les jeunes gens sur leurs progrès dans tous les exercices militaires et il leur rappela les obligations attachées à leur naissance et à leur rang. « Enfants du Soleil ! leur dit-il, je vous exhorte à imiter votre père, le Roi des Cieux, dans sa carrière glorieuse de bienfaits versés sur le genre humain. Et surtout n’oubliez jamais que notre glorieux ancêtre, le Roi Huayna Capac a quitté les demeures enchantées du Soleil pour recevoir votre serment ! » Tous se tournèrent alors vers la momie du Roi et levèrent la main et prononcèrent le serment de bravoure et de fidélité à l’Inca.

« C’est bien ! fit le Roi en se rasseyant, vous pouvez maintenant chausser la sandale ! »

Cette partie du cérémonial incombait au gardien des quipos, l’un des plus vénérables, qui attacha à chacun des candidats

  1. Garcilasso.
  2. Garcilasso, Sarmiento. Suivant Fernandez, les candidats portaient des chemises blanches avec une espèce de croix brodée sur le devant. Montesinos dit, à propos des pendants d’oreilles : « Les novices s’approchaient et quand ils s’étaient agenouillés devant l’Inca, celui-ci leur perçait les oreilles avec un énorme poinçon d’or, susceptible de faire un trou permettant d’y suspendre les pendants particuliers à l’ordre des Incas, ce qui fit donner aux Indiens le surnom de Orejones, de Oreja (oreille). L’ornement, qui avait la forme d’une roue, était passé dans le cartilage et avait le diamètre d’une orange : « Plus le trou est grand, dit un des anciens conquérants, plus il convient à un gentilhomme ! » Pedro Pizarro.