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entre les petits poings hideux des deux autres gardiens du Temple qui la repoussèrent sur son bûcher, où elle disparut. L’autre mammacona avait subi le supplice, debout, n’ayant jeté que le premier cri terrible et, quand elle s’effondra dans la prodigieuse corolle écarlate que lui avait envoyée le dieu pour la transporter dans les demeures du Soleil, des clameurs enthousiastes saluèrent ce triomphant martyre.



MARIE-THÉRÈSE
MURÉE VIVANTE


Les mammaconas, de plus en plus affolées par le feu, le sang dont elles étaient couvertes, et l’odeur atroce, et la fumée odieusement parfumée des bûchers, réclamaient, elles aussi, le supplice. Trois d’entre elles se jetèrent dans les flammes, mais en ressortirent presque aussitôt, tendant la gorge au sacrificateur qui les fit mourir, comme elles le désiraient. Et on ne sait jusqu’où aurait été ce délire du sacrifice et de la mort si le geste de Huascar n’y avait mis fin[1].

Sur un signe de lui la musique infernale cessa, les danses et les chants s’apaisèrent et les gardiens du Temple éteignirent sous la cendre les restes des bûchers. C’était le tour de Marie-Thérèse. Raymond, presque évanoui, rouvrit les yeux à la parole d’Orellana.

Il vit les mammaconas dépouiller Marie-Thérèse des ornements de prix dont elle était littéralement couverte. Sur elle, « les larmes du Soleil », selon l’expression consacrée, brillaient de leur éclat doré, de la tête aux pieds. Sa chevelure, ses oreilles, ses joues, sa poitrine, ses épaules, ses beaux bras, ses nobles jambes, ses chevilles sur les sandales d’or, ne laissaient voir que bijoux, plaques et disques éblouissants, pendentifs et bracelets. Tout cela lui fut enlevé et précieusement déposé dans un bassin d’or. On lui ôta également le fatal bracelet-soleil d’or. Ces bijoux devaient être à nouveau cachés jusqu’au jour qui viendrait dans dix ans, où l’Inca aurait besoin d’une nouvelle épouse du Soleil.

Pendant qu’on la dévêtait ainsi de sa gaine d’or, au fur et à mesure du travail rapide des mammaconas, Marie-Thérèse, dont les yeux étaient toujours clos, apparaissait entièrement cerclée de bandelettes. Extérieurement, on en avait déjà fait une momie. Ses bras étaient attachés à son corps. On n’avait plus qu’à la déposer dans son tombeau. Les yeux de Raymond ne quittaient plus ce qu’il pouvait voir encore de ce visage bien-aimé sous les bandes de toile parfumées qui lui liaient le menton, le front et les lèvres, laissant seulement à découvert les yeux fermés et la bouche entr’ouverte, mais immobile comme si elle venait d’exhaler le dernier soupir. Et il crut fermement que Marie-Thérèse était bien morte. Et cela, ne cessait-il de se répéter, était mieux ainsi. Ainsi, elle ne se sentait pas enlever par les trois hideux gardiens du Temple qui la déposaient sur la chaise funèbre et qui, suivis de toute la théorie des mammaconas la glissaient dans l’épaisseur de la muraille, dans ce trou où elle devait rester mille ans pour être ensuite brûlée à son tour.

À ce moment, les rayons du soleil, comme pour faire une échelle d’or à celle que les Incas, ses enfants, lui envoyaient dans leur piété cruelle, vinrent se poser près de Marie-Thérèse. Ils illuminaient sa tombe étroite et Raymond ne perdit rien des derniers gestes de l’atroce cérémonie. Il s’agissait de replacer les trois plaques lourdes, de granit rose, qui, glissant les unes sur les autres et s’adaptant et s’ajustant d’une façon parfaite, allaient fermer la tombe, selon le mode architectural des Incas.

L’opération se poursuivit dans le silence le plus terrible.

Toute l’assemblée avait les yeux fixés sur celle que l’on murait, mais nul n’eût pu dire si elle n’était point déjà morte.

La première plaque glissée par les trois gardiens du Temple qui pliaient sous le fardeau cacha Marie-Thérèse jusqu’aux genoux. La seconde, apportée à hauteur du niveau supérieur de la première pierre vers une plate-forme roulante, fut poussée à son tour et cacha Marie-Thérèse jusqu’aux épaules.

On ne voyait plus maintenant que sa tête dans ce trou funèbre, sa tête entourée de bandelettes, sa tête de momie, son visage de morte. Et c’est alors que tout à coup un long frisson parcourut toute cette assemblée qui avait cependant assisté sans frémir à toutes les précédentes horreurs sacrées : les yeux de Marie-Thérèse venaient de s’ouvrir !…

De s’ouvrir tout grands au fond de ce tombeau qui se refermait sur elle ! Les yeux étaient bien vivants, effroyablement ouverts, tout grands, tout grands sur ce qui lui restait à voir de la vie avant de

  1. Pour ces atroces sacrifices, voir tous les auteurs qui se sont occupés de l’ancien Pérou.