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troupes sur le dos des forces républicaines, entre Sicuani et Le Cuzco. Aux dernières nouvelles, même, le bruit courait que Le Cuzco était tombé en son pouvoir.

Si le fait était exact, la paix n’était point près de se faire entre les belligérants, qui allaient s’arracher le Pérou morceau par morceau ; et la situation du président Veintemilla se trouvait du coup fort ébranlée.

Or, Veintemilla, sur l’intervention du marquis de la Torre et les démarches diplomatiques de la Société française des mines qui devait fournir les fonds nécessaires, avait accordé fort aimablement à Raymond Ozoux la licence dont il avait besoin pour mener à bien ses travaux ou tout au moins pour expérimenter son nouveau siphon. Qu’allait valoir cette licence après la victoire de Garcia ?

Actif, aimant les affaires au moins autant que Marie-Thérèse, Raymond se désolait à l’idée qu’il lui faudrait sans doute attendre de longs mois, les bras croisés, l’issue d’une révolution qui en était encore à son aurore. Arrivé dans la calle de Lima, il regarda l’heure à sa montre et constata qu’il pouvait encore disposer de quelques instants avant d’aller rejoindre Marie-Thérèse. Il ne voulait point la déranger dans ses comptes, et il savait qu’elle n’y tenait point non plus. Tous deux s’aimaient de tout leur cœur, mais « les affaires étaient les affaires ».

Il entra, pour lire les journaux, au Circulo de los Amigos de las Artes (Cercle des Amis des Arts) qui était une sorte de café où la lecture des principales publications du vieux et du nouveau monde était offerte gratuitement au consommateur.

Dans le moment, la vaste salle du rez-de-chaussée était pleine de clients, et il y avait de bruyantes discussions autour des nouvelles de la dernière heure. On ne parlait que du Cuzco. Le nom de l’ex-première capitale du Pérou était dans toutes les bouches et de notables citoyens de Callao, qui avaient été jusque-là de farouches partisans de Veintemilla, commençaient à trouver à Garcia quelque vertu, quand une feuille officielle fut criée dans la rue par des gamins échevelés et essoufflés dont on s’arrachait la volante marchandise.

Un amigo de los Amigos de las Artes (un ami des Amis des Arts) monta sur une table, le journal à la main, et lut une proclamation du président de la République, conseillant le calme et démentant catégoriquement la prise du Cuzco par les insurgés. De plus, Veintemilla annonçait que le général Garcia était enfermé avec ses troupes dans Arequipa, que tous les défilés de la sierra étaient aux mains des républicains et que le traître allait être incessamment jeté à la mer ou repoussé dans les déserts de sable du Chili. La notice officielle se terminait par une objurgation relative aux Indiens quichuas et attribuait aux fêtes de l’Interaymi l’importance exceptionnelle de quelques troubles populaires dans les faubourgs. Ces fêtes allaient suivre leur cours normal et la classe indienne retomberait à son apathie bien connue. C’est alors que Veintemilla promettait de frapper le dernier coup, qui débarrasserait pour toujours le pays de Garcia et de ses partisans. Les Amigos de las Artes, à la suite de cette lecture, poussèrent des acclamations chaleureuses en l’honneur du Président.

Chacun se retrouva l’ami de Veintemilla. On jugeait sa proclamation magnifique : « Es verda veramente magnifico ! – Es cosa inaudita ! (c’est une chose inouïe !) – Dios mio ! mucho me alegro ! (Mon Dieu ! j’en suis bien aise !)

Raymond sortit de l’établissement un