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l’or dans un pays qui en contenait plus que tous autres, mais qui manquait alors de moyens de communication. Cependant le marquis, voyant qu’il pouvait puiser à pleines mains dans une caisse qui se remplissait sans cesse, pardonna à sa femme de le faire si riche et, à la mort de celle-ci, ne s’étonna point outre mesure de retrouver dans sa fille les utiles vertus de la mère. Il la laissa faire ce qu’elle voulait et lui eut un gré infini de s’occuper de toutes les affaires sérieuses.

— Et où est-il, mon bon Christobal ? demanda l’oncle François-Gaspard, tout en surveillant le chargement de ses bagages.

— Il ne vous attend que demain !… Vous allez en avoir une réception !… Une réception solennelle, Monsieur Ozoux, qui vous a été préparée à la Société de Géographie !…

La malle aux documents ayant été soigneusement enregistrée à la gare, François-Gaspard consentit à monter dans l’auto qui prit, à toute vitesse, le chemin de Lima. Marie-Thérèse voulait arriver avant le soir qui tombe si vite dans ces contrées.

Après avoir dépassé l’agglomération des maisons en adobes (briques cuites au soleil) et quelques villas confortables, ils longèrent une sorte de marécage couvert d’ajoncs et de roseaux, entrecoupés de bosquets de bananiers et de tamaris aux tons rougeâtres, de pépinières d’eucalyptus et de pins araucarias. Le paysage était brûlé par le soleil, par une sécheresse que ne vient jamais rafraîchir la moindre pluie, ce qui fait que le campo qui environne Lima et le Callao est médiocrement enchanteur. Un peu plus loin ils aperçurent des cabanes en bambous et en torchis.

Cette sécheresse, générale dans cette partie du Pérou, eût donné à la région un aspect d’incroyable désolation si de temps en temps n’était apparue quelque hacienda, ferme entourée d’une oasis verdoyante avec ses plantations de canne à sucre, de maïs et ses rizières. Dans les chemins encaissés et argileux qui rejoignent la route glissaient des convois de bœufs, des charrettes, des troupeaux que des bergers à cheval ramenaient à la ferme et cette animation formait un contraste inattendu avec l’aridité environnante. Et l’oncle François-Gaspard, malgré les cahots d’une voie mal entretenue, prenait des notes !… prenait des notes… Bientôt ils distinguèrent, avec les contreforts de la Cordillère, les clochetons et les dômes qui font ressembler Lima à une cité musulmane.[1]

Ils y arrivèrent en côtoyant le Rimac, ruisseau sur lequel des nègres, pêcheurs d’écrevisses, étaient penchés, traînant à leur ceinture un vaste sac qui plongeait dans l’eau, dans le dessein d’y conserver les victimes vivantes. Raymond se réjouit : il adorait les écrevisses. Comme il confessait sa gourmandise à Marie-Thérèse, il fut frappé de l’air préoccupé de la jeune fille et lui en demanda la raison.

— Une chose extraordinaire, dit-elle ; on n’aperçoit pas un Indien.

Mais ils arrivaient à Lima, ils touchaient à la fameuse Ciudad de los Reyes, la cité des Rois, fondée par le Conquistador. Marie-Thérèse, qui aimait Lima dans ce qu’elle avait de plus original, eut la coquetterie de faire faire à l’auto un détour, quitte à crever ses pneus sur les galets pointus ramassés pour un grand pavage, dans le lit du Rimac. Et ils furent tout de suite dans un coin très pittoresque. Les maisons disparaissaient sous les galeries de bois accrochées aux murailles. Ces galeries semblaient de véritables boîtes ouvragées, garnies de grillages et d’arabesques, elles étaient comme de petites chambres suspendues, offrant un aspect mystérieux et coquet, rappelant les moucharabiés turcs. Seulement, là, dans leur pénombre, il n’était point rare d’apercevoir les plus jolis minois du monde, d’adorables visages de femmes qui ne se cachaient nullement. La Liménéenne est renommée pour sa beauté et pour sa coquetterie. Dans ces quartiers, elles sortaient enveloppées de la manta, ce grand châle noir qui s’enroule autour de la tête et des épaules et que nulle autre Sud-Américaine ne sait draper aussi gracieusement. Semblable au haïk des Mauresques, la manta ne laisse apercevoir du visage que deux grands yeux noirs. Quand parfois cet abri s’entr’ouvrait, il permettait à Raymond d’admirer au passage des traits harmonieux et un teint mat rendu plus blanc par l’ombre mystérieuse où il se complaisait. Le jeune homme ne cacha pas son enchantement, ce qui lui valut d’être grondé par Marie-Thérèse.

— Décidément, elles sont trop jolies sous leur manta ! fit-elle. Je vais vous montrer des Européennes !… Et elle donna un demi-tour de volant qui les ramena dans les quartiers neufs, dans les voies

  1. Lire le Pérou Économique de M. Paul Walle.