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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

à fait insensé. Son silence obstiné, l’élargissement de ses pupilles, l’espèce d’épouvante avec laquelle il regarde les choses et les gens autour de lui, le frisson qui le secoue au moindre bruit, au moindre frôlement, la terreur visible qu’il éprouve devant une porte qui s’ouvre, tout cela dénote un désordre inouï dans les facultés !

— Eh ! mon cher ! songez qu’il revient de loin. Au fond, nous ne savons pas, nous, d’où il revient ! Mais lui, il le sait ! Il s’en souvient certainement ! émit, avec une grande énergie, le professeur Jaloux… J’ai regardé ses yeux… Ils semblent encore pleins de choses que nous ne voyons pas et qu’il a vues, lui !… Comment, dans ces conditions, n’aurait-il point besoin d’un certain temps pour retrouver l’équilibre de ses sens d’homme vivant !

— Eh bien, mon cher, tant qu’il n’aura pas retrouvé cet équilibre, il faut le laisser tranquille !

— Jamais ! Ce que vous proposez est peut-être très humain au sens étroit du mot, mais tout à fait antiscientifique ! car, sachez-le, cet équilibre de ses sens d’homme vivant, il ne l’aura reconquis tout à fait que lorsque les choses de la mort qu’il a vues se seront effacées peu à peu sous l’image constante et continue des choses de la vie qu’il voit ! Et alors, vous saisissez qu’il ne se souviendra plus de rien ou que son souvenir sera devenu tellement vague et lointain qu’il ne lui apparaîtra plus que comme un rêve sans consistance. Et nous, scientifiquement, nous serons volés !…