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L’HOMME QUI REVIENT DE LOIN

et lucide, et que le docteur t’a avertie, retourne au kiosque et tu te rendras bien compte qu’il n’y a pas d’ombre du tout et que tu as rêvé. »

« Là-dessus j’ai jeté une écharpe sur mes épaules et j’ai traversé le jardin.

« J’entendais la bonne qui remuait sa vaisselle dans la cuisine et, dans le jardin, j’ai aperçu la silhouette de mon mari qui passait et repassait devant la fenêtre de sa chambre. Tout cela était bien naturel, et moi-même, je me sentais très naturelle.

« Tout de même, quand j’ai eu atteint l’escalier du kiosque, je n’ai pas pu m’empêcher de frissonner. Je me disais : « S’il est encore, ce soir, c’est que c’est bien lui !… »

« Madame, tout d’abord, je n’ai rien vu… j’ai fait le tour de la table de bois, je suis allée m’appuyer à la rampe et j’ai regardé le fleuve, l’endroit où je l’avais vu marcher sur les eaux, entre les branches des saules, au-dessus des nénuphars… et puis, la rive… Il y avait un silence énorme. J’ai entendu sonner l’heure à une chapelle. Je suis bien restée là une demi-heure, et, tout bas, j’appelais : « André !… André !… » pour voir s’il allait venir… Mais j’étais bien persuadée qu’il ne viendrait pas, parce que je m’efforçais de penser à ce que m’avait dit le docteur… Ne voyant rien sur la terre, je levai les yeux au ciel.

« Il y avait de gros nuages noirs qui glissaient sur la lune. J’allais partir quand m’étant redressée, un bruit de chaînes se fit entendre… et mon regard retourna à la rive. C’est alors, madame, que je le vis.