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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

— Quelle conduite ! fit Théophraste navré.

— Mais bientôt tu fus « brûlé » dans les académies et réduit à servir, de tes expédients, les sergents recruteurs. Tu sais de quelle façon on recrutait les soldats à cette époque ? C’était simple : les sergents recruteurs auxquels on amenait de bons jeunes gens sans malice ou d’affreux garnements sans foi, ni dieu, ni lieu, les sergents recruteurs, dis-je, enivraient tout le monde. Le lendemain matin, quand on se réveillait, dégrisé, on avait signé, et il avait fallu partir pour la guerre. Tu fournissais les sergents recruteurs et tu rabattais pour eux. Mais tu en fus puni. Ayant un jour amené deux jeunes gens à tes sergents, au cabaret des Amoureux de Montreuil, et ayant fait, la fête avec eux, tu te réveillas, le lendemain, ayant signé toi aussi. Tu étais le recruteur recruté !

— Je ne m’en plains pas. J’ai toujours eu du goût pour l’armée, dit Théophraste, et si j’ai signé mon engagement, ceci prouve encore que je savais écrire. Tu diras cela à mes historiens de ma part.

Mais il était sept heures. Adolphe interrompit là le cours de son récit. Ils reprirent le chemin de la ville, après une solide poignée de main à M. Lopard.

Ils gravirent le coteau. Avant d’en atteindre le faîte, Théophraste demanda ;

— Dis-moi, Adolphe, je suis curieux de savoir comment j’étais fait. J’étais un bel homme, n’est-ce pas ? Un grand, fort bel homme ?

— Ainsi te représente-t-on au théâtre, dans la pièce de M. d’Ennery ; mais, au contraire, tu étais, selon le poète Granval, un homme qui t’a bien connu et qui a chanté ta gloire…

— Oui da !

— Ta gloire sanglante. Tu étais :