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LE MASQUE DE CIRE

cette enveloppe à face d’honnête homme qui était étiquetée, fin dix-neuvième siècle : Théophraste Longuet, et qui enfermait et qui promenait l’âme de Cartouche ! Certes, dans le premier moment d’une telle révélation, je ne pus que m’évanouir, et c’est du reste ce que je fis. Ensuite, je suppliai Adolphe de ne rien dire à ma femme. Je connais Marceline ; elle a une telle peur des voleurs, surtout la nuit, qu’elle n’aurait plus voulu coucher avec moi.

» Donc, je ne trouvai point au fond de moi un sentiment de désespoir absolu, mais une grande pitié, une vraie pitié attendrie, qui non seulement était capable de me faire pleurer sur le sort de moi, Théophraste, mais qui me portait aussi à plaindre Cartouche. Je me demandais, en effet, lequel était le plus à la noce de l’honnête Théophraste traînant dedans lui le brigand Cartouche ou du brigand Cartouche enfermé dedans l’honnête Théophraste.

» — Il faut tâcher de s’entendre ! dis-je tout haut.

» Je n’avais pas plutôt prononcé cette phrase, qui peut paraître bizarre mais qui traduisait bien la double et cependant unique préoccupation de mon âme, que je ne pus retenir un cri. Une grande lumière se faisait en moi, en même temps que je me rappelais la théorie de la réincarnation que m’avait exposée M. Lecamus.

» Il rattachait la réincarnation à l’évolution nécessaire des choses et des individus, ce qui n’est rien autre que le transformisme cher à la science officielle, et ne disait-il point que l’âme se réincarne pour évoluer, selon la règle, vers le meilleur ? C’est la montée progressive de l’Être, dont nous avait parlé avec une emphase si charmante M. le commissaire Mifroid. Eh bien ! la Loi naturelle que certains appellent Dieu n’avait trouvé sur la terre rien de plus honnête que le corps de