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SUITE DE L’HISTOIRE DE CARTOUCHE

qui eut des formes admirables, une figure ravissante. Dès l’âge de quinze ans, cette beauté modèle pensa que la nature ne l’avait pas pourvue de si rares trésors pour les enfouir ; elle les prodigua. Le duc d’Orléans, longtemps avant la Régence, l’aima ; il en demeura coiffé pendant plus d’un an. C’est pour elle qu’il fit construire dans une partie retirée des jardins de Saint-Cloud une sorte de grotte, éclairée mystérieusement par quelques rayons dirigés sur un lit de nattes sur lequel s’étendait sa maîtresse, tout habillée de ses cheveux blonds. Il les montra à tous ceux qui passaient par là et il se fit ainsi de nombreux amis. Mais il y a beau temps que les quinze ans de La Fillon se sont envolés. Maintenant elle n’a plus que la joie de l’intrigue dont elle a fait deux parts : la galanterie et l’observation. Ainsi fournit-elle des renseignements précieux à la police et à M. d’Argenson, garde des sceaux, et des sujets remarquables pour les amours du régent. C’est elle qui lui procura Émilie, qui est bien la plus jolie fille de Paris.

» Tout le monde veut la lui voler. Law, qui est le plus riche, a juré d’y réussir. Il lui demandait une heure de complaisance et lui donnait un collier de dix mille louis dont elle raffolait. C’était marché conclu pour la nuit prochaine.

» — Cartouche, me dit le régent, après m’avoir expliqué ses petites affaires, tu es un brave homme. Je te donne le collier.

» Et il s’en alla, sous le clair de lune, en me faisant un petit signe de la main. Cette sorte de mission que je recevais de contrarier les amours de M. le surintendant et de venger celles du duc d’Orléans m’emplit d’un juste orgueil. Étant rentré à Paris, j’appris dès le matin, par ma police, qui était la mieux faite de l’époque, que la courtisane Émilie habitait un petit hôtel, dans le Marais,