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LA DOUBLE VIE DE THÉOPHRASTE LONGUET

prise de ma vie d’autrefois, il m’avait laissé partir pour la guerre et que je serais curieux de savoir comment de soldat je devins le plus grand bandit du monde, car mes propres souvenirs étaient fantasques ; ils me revenaient à leur caprice et je ne connaissais encore ma vie que par lambeaux. Il me répondit que ceci ne s’était pas fait d’un coup ; qu’après la guerre, on avait, comme de coutume, licencié la majeure partie des troupes et que je m’étais trouvé avec quelques camarades à Paris, sans ressources autres que celles qui pouvaient me venir de mon ingéniosité particulière et de mes talents spéciaux. J’en usai avec un tel bonheur et une audace si remarquable que mes camarades n’hésitèrent point à me prendre pour chef. Notre troupe se grossit avec rapidité de tous les mauvais garçons que nous trouvâmes dans les rues quand les honnêtes gens sont couchés.

» Justement, à cette époque, la police de Paris était si mal faite que je résolus de m’en occuper. Mon dessein était que chacun, bourgeois, gentilhomme ou curé, pût se promener à toute heure, en toute tranquillité, dans sa bonne ville de Paris. Je partageai mes troupes fort habilement, leur donnai à chacune un quartier à garder et un chef intelligent qui restait toujours mon lieutenant docile. Quand un quidam sortait après le couvre-feu, et même quelquefois avant, il était abordé fort poliment par une petite escouade de mes gens qui l’invitait à verser une certaine somme, ou s’il n’avait pas d’argent sur lui, à se défaire de son habit, moyennant quoi on lui donnait le mot de passe et il pouvait dès lors se promener dans Paris, toute la nuit, s’il lui plaisait, dans une sécurité parfaite. Il n’avait plus rien à craindre, car j’étais devenu le chef de tous les voleurs.

» Je serais indigne du nom d’homme, moi, Théo-