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JE TE DOIS MON DOIGT !

qu’on appelait des vocations chez les hommes d’aujourd’hui n’était qu’une révélation latente du passé, et qu’elles ne pouvaient s’expliquer que de cette sorte. Il me dit que ce qu’on appelait « facilité » chez les hommes d’aujourd’hui n’était autre chose que de la sympathie rétrospective pour des objets qu’ils connaissaient mieux que tous les autres pour les avoir mieux étudiés avant la vie actuelle, et que ceci ne pouvait encore s’expliquer que de cette sorte. Il me dit que chacun de nous faisait, presque toujours, sans s’en douter, les gestes du passé ; et qu’il avait vu, lui, de ses propres yeux vu, le soir de la bataille du Bourget, tomber à ses côtés deux jeunes gens, beaux comme des demi-dieux, braves comme Castor et Pollux, et qui succombèrent avec la grâce que les héros mettaient à mourir à Salamine, à Marathon et à Platées !

» L’Homme de Lumière me pressa alors sur son cœur comme un père embrasse son petit enfant ; il souffla sur mon front et sur mes yeux son souffle divin et il me demanda si j’étais bien persuadé maintenant de sa Vérité et que, pour être heureux, il fallait que nous cherchions à nous rendre compte de notre condition de changement perpétuel, et qu’ainsi nous apprendrions à vivre le Maintenant et à comprendre que le temps nous appartient tout entier. Ne sommes-nous pas les enfants de l’Éternel, aux yeux de qui « mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans » ?

» Je lui répondis en pleurant de joie — et ma chère femme aussi pleurait de joie, et mon cher Adolphe aussi pleurait de joie — que je croyais, que je voyais, que je ne m’étonnais plus du tout d’avoir été Cartouche, que je le regrettais un peu, mais que la chose, après tout, était si naturelle que jamais plus mon esprit ne s’y arrêterait. Je lui dis : « Soyez tranquille, soyons