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OÙ L’ON ESSAIE DE TUER CARTOUCHE

M. Adolphe Lecamus, à qui nous devons cette narration, fait remarquer dans ses notes qu’il s’est efforcé de retracer le plus fidèlement possible les phrases échappées à Théophraste dans l’état de sommeil hypnotique. Ce qu’il ne peut pas rendre, nous dit-il, c’est la modulation de ces phrases, leur ton étrange, leurs arrêts, leurs stations, leurs départs précipités, et quelquefois leurs arrivées douloureuses. Enfin, ce qu’il renonce tout à fait à peindre, c’est la physionomie de Théophraste. Par moments, elle exprimait la colère, par moments le mépris, quelquefois l’audace la plus inouïe, quelquefois la terreur. M. Lecamus, qui avait vu le portrait de Cartouche, rapporte que, dans certaines minutes étranges, Théophraste ressemblait à Cartouche. Il lui ressembla pour la première fois, dit-il, dans la minute que voici… Théophraste venait de faire assister ceux qui l’écoutaient dormir à son départ de la rue de la Ferronnerie pour la rue Amelot. Il passe près du cimetière des Innocents, il vient de rencontrer Magdeleine (dit Beaulieu). La pluie tombe à verse, la nuit est lugubre, la rue est sinistre. Soudain, sur son lit de sangle, la figure de Théophraste exprime un sentiment inouï qu’on ne saurait qualifier, car cette expression est à la fois celle de la joie la plus sauvage et du plus magnifique désespoir.

M. de la Nox, penché sur le lit, lui demande :

— Que se passe-t-il, Cartouche ?

Théophraste répond dans un râle :

Je viens de tuer un passant[1] !

  1. Les dernières expériences des professeurs de l’école de Nancy (se rappeler leurs déclarations au moment du procès Eyraud et Gabrielle Bompard) ont ouvert un champ immense aux hypothèses relatives aux suggestions criminelles de l’hypnose. On peut tuer dans le rêve hypnotique. Ici, M. Théophraste Longuet